“La phantasia érotique d’Io. Une invention du Corrège”. Un livre de Philippe Morel (texte original en français avec résumé en italien).

di Philippe PREVAL

La phantasia érotique d’Io – Une invention du Corrège. Philippe Morel

Figure de premier plan, de la grande école de pensée initiée par Louis Marin et poursuivie Daniel Arasse et Hubert Damish, Philippe Morel, a récemment publié un essai court mais remarquable, consacré au tableau de Corrège Io et Jupiter[1].

1 couverture du livre

Ce mouvement de pensée fut avant tout celui de philosophes[2], en particulier sémioticiens[3], venus à l’Histoire de l’Art, qui surent poser un regard perçant sur les œuvres au point d’y mettre en lumière des détails signifiants devant lesquels des siècles avaient défilé indifférents, et mettre en œuvre une érudition imposante mais parfois imposée dans un style brillant, confinant cependant, de temps à autres, à la préciosité. Le livre reprend un format similaire à celui qu’avait adopté Daniel Arasse pour son texte consacré à la Vénus d’Urbino[4].

Io et Jupiter est l’une des quatre toiles consacrées aux amours de Jupiter[5], réalisées entre 1528 et 1531[6], qui constituent selon l’expression de Cecil Gould, le « testament de l’artiste »[7]. Il s’agit de quatre scènes d’amour dont deux sont explicites (« in Io and in Leda, the actual coitus is represented »[8]). Les deux autres toiles – Danaë et Ganymède– se situent avant et après l’acte (« the other two show the moment immediate before and after it »[9]). Ces quatre chefs d’œuvre ont eu un destin chaotique. Offerts à Charles Quint[10] par Frédéric II Gonzague, dont l’empereur avait fait le premier duc de Mantoue et qui était son véritable second dans la péninsule, ils ne restèrent pas en Espagne, furent très tôt dispersés et, pour les deux grandes toiles, nous sont parvenues dans un état désastreux. Egon Verheyen[11] avait analysé l’ensemble et tenté de replacer les tableaux dans le décor original.

2 Corrège, Io et Jupiter  Kunsthistorisches Museum Vienne

Philippe Morel se concentre sur Io et évoque rarement le programme dans son ensemble. En premier lieu, il remarque que, si la toile se base sur les Métamorphoses (Mét I, 568-624), le peintre s’écarte volontairement du texte. Ovide décrit clairement la fuite de la nymphe (fugiebat enim) qui refuse les avances du dieu (nec de plebe deo, sed qui caelestia magna / sceptra manu teneo), puis le viol (rapuitque pudorem, Mét I, 600). C’est d’ailleurs aussi le terme utilisé pour Callisto. Rien dans le texte d’Ovide n’évoque le consentement et moins encore le plaisir. C’est pourtant bien le sujet du tableau de Corrège, le plaisir et, plus précisément, le plaisir féminin.

Pour ce qui est de la transformation du viol en acte réciproquement consenti, Corrège, comme le souligne l’auteur, ne fait que suivre la voie ouverte par la gravure de Caraglio, d’après un dessin de Perin del Vaga. A peine quelques mois après les Modi de Giulio Romano et Marcantonio, qui avaient été implacablement censurés[12], l’imprimeur Baviera, le graveur Caraglio et les dessinateurs, Rosso qui a entamé le projet mais n’a fait que deux dessins, et Perin del Vaga qui a fait tous les autres (16) publient Les Amours des dieux. Il s’agit de 18 gravures accompagnées chacune de deux quatrains, présentant les amours des Olympiens, en particulier de Jupiter. Bien que les scènes soient assez explicites,[13] les dessinateurs ne sont pas allés jusqu’à la pornographie.

Elena Parma Armani oppose le « raffinato erotismo » des Amours des dieux au «Modi pornografici» [14], et Shearman souligne la capacité du maniérisme à stériliser les passions[15]. Au surplus, à la différence des Modi, ces images s’abritent derrière un prétexte mythologique : elles mettent en scène Jupiter, Vénus, Mercure, Apollon, Bacchus et leurs partenaires. Cela explique sans doute qu’elles n’aient fait l’objet d’aucune censure et que, bien au contraire, elles aient été largement diffusées.

A propos de la gravure de Caraglio et du dessin de Perin del Vaga, l’auteur cite une adaptation des Métamorphoses par Nicolo degli Agostini, qui opère le même glissement sémantique, Jupiter se présentant sous un bien meilleur jour :

Con parlar non da deo ma d’huom cortese

Bacciandoli la suavermiglia fascia

Al fin del amor suo tutta l’ascese…[16]

 

Lui parlant, non en dieu, mais en un homme courtois

Baisant son visage empourpré

Vers son amour il l’attire tout entière…

 

Dans la gravure, Io manifeste son consentement en pressant les reins de son amant de sa main droite, l’aigle jupitérien sert de coussin, Jupiter qui a conservé sa forme est caché par le nuage du regard de Junon (« sua moglie »), Cupidon assiste au spectacle, mais sa présence renforce le fait que la violence a cédé le pas à l’amour. Au passage, le nuage qui dans le texte d’Ovide avait pour fonction de créer une obscurité propice au forfait en aveuglant la nymphe, est maintenant un moyen de se protéger du regard inquisiteur de Junon. Le drame se transforme en vaudeville érotique.

Comme le montre Philippe Morel, Corrège opère un bouleversement radical en centrant son tableau sur Io. Le peintre lui donne une place si prépondérante que tout le reste est rejeté au second plan : Junon, Cupidon et l’aigle ont disparu, quant à Jupiter il n’est plus caché par un nuage, il est un nuage. La force du tableau c’est avant tout la force de la représentation du corps de Io, ce corps vu de dos ; une image dont l’auteur retrace rapidement la genèse, venant de l’antiquité et du lit de Polyclète, passant par la fresque de Raphaël représentant Vénus à la Farnesina et se poursuivant bien au-delà de la Renaissance mais qui atteignit sa plénitude avec deux toiles, celle dont nous parlons et la Vénus et Adonis du Titien.

L’auteur fait l’hypothèse, et nous pensons qu’il faut le suivre, que Corrège, comme Titien, a travaillé d’après modèle et non, comme Raphaël, d’après l’antique. Il est clair que « le séant légèrement aplati » est un détail qui n’existe pas dans les modèles grecs. Présente aussi chez Titien, cette représentation perspicace a fait l’objet d’une description minutieuse par Ludovico Dolce[17]. Comme le dit l’auteur,

« l’efficacité érotique de ce détail tiendrait à la fois au point de vue sur les fesses et à l’effet de réel propre à cette chair marquée par la position assise »[18].

Ce qu’exprime ce corps, qui s’impose au spectateur, c’est le plaisir:

« c’est la représentation de l’extase amoureuse de la nymphe qui polarise l’attention [19] …. ses lèvres entrouvertes et son regard perdu laissent imaginer le plaisir ou la jouissance de la jeune femme ».

L’auteur emmène ensuite le lecteur sur un rapprochement avec les œuvres religieuses de Corrège. Nous ne sommes pas obligés de le suivre sur cette voie.

Dans la lignée de ses maîtres, Philippe Morel s’intéresse à un détail peu visible et en donne une explication lumineuse : le cerf qui se désaltère dans le coin inférieur droit du tableau n’est autre que le symbole du désir, lui-même inspiré du Psaume 42[20] :

« dans la poésie des troubadours, le cerf est l’image de l’amant […] cette métaphore amoureuse et sexuelle répandue a souvent été utilisée par les artistes italiens de la Renaissance »[21].

Figure 1 le détail des fesses
Figure 2 le détail du cerf

 

 

L’auteur revient à plusieurs reprises sur le paradoxe logique qui consiste, pour une nymphe, ou pour quiconque d’ailleurs, à serer dans ses bras … un nuage[22]. Il est clair que le spectateur fait face à une image impossible et qu’il doit s’affranchir de son propre bon sens pour en goûter le plaisir ou penser, comme on va le voir plus loin, qu’il s’agit soit d’un fantasme, soit d’un rêve. La nymphe étreint le nuage jupitérien de tout son corps, comme elle est elle-même pressée par cette énorme main grise aux allures de patte d’ours. L’auteur développe par ailleurs, les rapports entre le corps et le nuage, les figures anthropomorphiques qui se devinent dans les nuages, la vapeur comme figuration de l’âme, les anges qui deviennent gazeux et réciproquement avant d’arrêter de lui-même la digression dans laquelle l’a entrainé son érudition luxuriante[23]

L’auteur cite Ficin a plusieurs reprises. La référence à celui qui par sa traduction du banquet de Platon et par son Commentarium in convivium platonis, De Amore, a mis l’amour au centre des débats philosophiques pour plus d’un siècle, est incontournable.

Pour autant, l’idée toute empreinte de christianisme néoplatonicien, que Ficin, ordonné prêtre sur le tard, se faisait de l’amour, chemin vers dieu à travers la beauté de la personne aimée, n’est pas tout à fait approprié à la scène qui se déploie devant le spectateur, ni aux idées qui lui viennent à l’esprit devant Io et Jupiter.

Un autre philosophe peut être évoqué. En effet, si le tableau est bien l’expression du plaisir féminin on peut se demander d’où vient celui-ci. Il vient du toucher, ce sens bien méprisé par les néoplatoniciens, il vient des frottements paradoxaux produits par ce spectre vaporeux, il vient de « la lente friction » pour reprendre l’expression l’élève rebelle de Ficin, qui exerça une influence si importante à Ferrare et à Mantoue, où fut produit ce tableau, Mario Equicola, qui composa le Libro de Natura de Amore[24]. Le chapitre 14 du livre IV, en particulier, semble tout à fait adapté au tableau[25]. Mais comme on va le voir, l’interprétation retenue par Philippe Morel n’est pas la représentation du plaisir lui-même mais du rêve du plaisir ou du plaisir rêvé.

L’onirisme est intrinsèque à cette œuvre, en ceci qu’aimer un spectre peut simplement être un rêve. De même le visage du Jupiter, jeune homme, qui transparait dans les nuées, peut être considéré comme une hallucination, une vision ou même un masque. L’auteur consacre un long développement à cette façon d’approcher le tableau en prenant, en particulier, appui sur le fameux dessin de Michel-Ange, Le rêve[26], et sur la pièce d’Eschyle, Prométhée enchaîné, où Io raconte son rêve récurrent au Titan. Dans ce rêve, Zeus vient la visiter, et lui tenir un discours séducteur dont Ovide s’est inspiré :

« jeune fille, pourquoi plus longtemps rester vierge quand tu pourrais t’unir au plus grand des époux… »[27].

L’auteur souligne que le texte d’Eschyle était connu à Florence au quattrocento, en particulier de Politien et qu’il fut imprimé au début du cinquecento, et fit même l’objet d’une impression en grec, en 1522 à Venise. Dans cette optique le tableau serait donc

« la conversion du rêve de la nymphe en phantasia érotique éveillée, qui projette le phantasme de l’être désiré »[28].

De phantasia à fantaisie, l’auteur en vient au thème du pouvoir de l’imagination. L’imagination, dont il résume l’histoire depuis Aristote jusqu’à Montaigne en quelques pages, peut modifier la perception du réel selon Ficin.

Elle est pour les néoplatoniciens, en particulier, Porphyre, que Ficin a traduit, le véhicule de l’âme quand celle-ci descend des sphères célestes pour s’incarner. Le tableau serait donc la « photographie d’un rêve » où « emportée par son imagination, Io se croit embrassée par le dieu et pense l’étreindre… »[29]. Quant à Jupiter, « partagé entre masse nuageuse et masque, il pourrait n’être que simulacre »[30]. Cela rapprocherait la scène d’un autre mythe, celui d’Ixion qui croit s’unir à Junon alors qu’il ne possède qu’un spectre, et qui sera néanmoins châtié par Jupiter. Cependant, si la Junon d’Ixion est bien une illusion, Io est vraiment violée par Jupiter (rapuitque pudorem).

L’auteur consacre sa dernière partie au véritable sujet du tableau : le plaisir féminin. Comme nous l’avons dit, la femme occupe tout l’espace du tableau, Jupiter n’est qu’un agent au service de son plaisir. Pour Philippe Morel le peintre « ne nous montre pas la réalité crue d’une union sexuelle, mais son expérience onirique réduite à la sphère haptique »[31]. Pour lui « la femme se fait ici le sujet et l’actrice principale du désir et du plaisir amoureux » mais seulement dans l’espace des rêves. Ici, on est tenté de lui poser une question. Pourquoi le plaisir sexuel de la nymphe serait-il cantonné au rêve, pourquoi la réalité du plaisir lui serait-elle refusée, pourquoi Io ne serait-elle pas capable de détourner, de métamorphoser, les pulsions brutales de Jupiter à son profit ? Equicola qui défend le sens du toucher, sens le plus vulgaire pour Ficin, attache une importance certaine au plaisir physique, y compris au plaisir féminin. Le chapitre 15 du quatrième livre de son De Amore est intitulé : Se abbiano piu piacere gli uomini o le donne. Il conclut :

« Aux hommes la volupté intensive (et courte) de l’éjaculation, aux femmes la volupté extensive de la friction (nella fricazione) »[32].

Le texte creuse la problématique du rêve en notant que « Corrège a déjà exploré le voisinage du plaisir sexuel féminin et du rêve » dans le sommeil de Vénus du Louvre[33] qui a longtemps été dénommé Jupiter et Antiope. Aujourd’hui, il ne fait plus de doute qu’il représente Vénus, Cupidon et un satyre. Vénus et Cupidon sont allongés, endormis. Un satyre, debout, regarde Vénus en finissant de retirer l’étoffe qui protégeait la pudeur de la déesse et vient opportunément masquer aux yeux du spectateur son propre désir. Vénus est représentée en diagonale dans une attitude très sensuelle[34]. Elle s’offre délibérément à la vue du satyre ainsi qu’à celle du spectateur.

La scène, que le peintre a placée dans un magnifique sous-bois, ce qui permet de penser que le Satyre est Pan, familier de ces lieux, reprend le schéma antique du personnage féminin (nymphe, Vénus, Hermaphrodite) découvert par un satyre. Gould parle de « rapturous delight ». Il indique :

“the beautiful satyr gently lifts the blue drapery. At the sight of the esquisite forms, he can hardly believe his good fortune [35]

et souligne la beauté du satyre qui n’est ni hirsute, ni contrefait. Cette beauté répond à la splendeur de Vénus, toute en sensualité, en suavité. Corrège a accentué les courbes, les formes, les raccourcis au point de mettre en péril l’exactitude anatomique. Il a renforcé l’abandon voluptueux de la déesse.

Philippe Morel cite la gravure du songe de Poliphile qui est la première manifestation du retour de ce thème antique dans l’imagerie renaissante. Il en déduit que le chèvre pied va placidement respecter la beauté offerte, qu’il va s’arrêter au « voyeurisme et à la concupiscence » et se contenter d’un plaisir solitaire, ce que le rideau bleu laisserait discerner. On peut ne pas le suivre sur ce point et considérer que le flambeau de Cupidon, qui gît sur le sol est l’un des signes annonciateurs d’une scène d’amour. Le spectateur peut imaginer, qu’inassouvi par la seule contemplation, le désir du demi-bouc va le pousser à passer à l’action, avec l’assentiment de la déesse, faussement endormie… Mais ce n’est pas l’avis de l’auteur, pour qui le satyre, comme le spectateur, va s’arrêter

« au plaisir de posséder l’autre par le seul regard » restant étranger « au plaisir voluptueux de la déesse emportée par ses rêves »[36].

Poursuivant la recherche de la dimension onirique du plaisir féminin, l’auteur aborde une œuvre disparue de Michel-Ange, Léda et le cygne qui nous est connue par de nombreuses copies (dont les plus célèbres sont l’une à Capodimonte et l’autre, attribuée à Vasari, à la National Gallery de Londres). Corrège a eu connaissance de cette œuvre, comme le prouve un dessin conservé au Louvre[37]. Dans cette scène d’accouplement explicite, Léda a les yeux clos. Ce détail permet de penser que cette scénographie revêt un caractère onirique. Mais si ce tableau fut détruit[38], c’est sans doute parce que

« la représentation de l’expérience physique et émotionnelle du plaisir amoureux était clairement devenue scandaleuse aux yeux de personnes prudes ou dévotes ».

Ceux qui se rendirent coupable de cet acte barbare, ne considéraient pas faire face à la représentation d’un rêve.

Le tableau de Corrège n’eut pas de véritable postérité. Sans doute était-il trop fort, trop intimidant. L’auteur présente néanmoins quelques exemples du XVIII e siècle Français, comme Jean-Baptiste-Marie Pierre et considère que l’invention de Corrège aura servi de source d’inspiration

«pour la représentation autonome d’une rêverie féminine voluptueuse qui constituerait le comble de l’érotisme dans la peinture de la seconde moitié du XVIIIe siècle »[39]

On peut ne pas être d’accord avec certaines voies d’interprétation proposées par l’auteur, on peut considérer que l’invocation de Saint Augustin ou de quelque obscur néoplatonicien, ne s’impose pas pour l’étude de ce tableau, il reste que l’exercice auquel se livre et nous convie Philippe Morel est tout à fait passionnant. Il force le lecteur à regarder longuement le tableau, à pratiquer cette discussion silencieuse avec l’œuvre recommandée par Annibal Carrache, tout en convoquant 20 siècles d’histoire de la philosophie. Et cette méditation élève l’âme du lecteur, ce qui ne devrait pas déplaire à un lointain disciple de Marcile Ficin.

Philippe PREVAL   Paris 3 Dècembre 2023

NOTE

[1] Io et Jupiter, HST, 162 × 73,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum
[2] Louis Marin était avant tout un grand philosophe, avant de s’intéresser à l’histoire de l’Art avec un brio indéniable.
[3] Par exemple : Louis Marin, Le récit est un piège, 1978, Signe et représentation : Philippe de Champaigne et Port-Royal, 1970.
[4] In Goffen (Rona), Titian’s ‘Venus of Urbino’,1997.
[5] Io, HST, 162 × 73,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum; Danaé, HST, 152 × 191 cm, Berlin, Gemäldegalerie; Ganymede, HST, 163,5×70,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum; Léda, HST, 115 x 86 cm., Rome, Galerie Borghese.
[6] Verheyen (Egon), Correggio’s Amori di Giove, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1966, Vol. 29, 1966.
[7] Il est à noter que, Corrège a fait, en tout et pour tout, huit tableaux mythologiques. Les commandes de l’Eglise, en particulier la coupole de la cathédrale de Parme, ont occupé l’essentiel de son temps. Ces huit tableaux sont tous liés à la famille régnant à Mantoue, les deux premiers sont une commande du marquis Frédéric II (futur premier duc de Mantoue) pour l’une de ses résidences (sans doute sa villa de Marmirolo), les deux suivants sont une commande de sa mère Isabelle d’Este pour son studiolo du palais ducal, les quatre suivants sont le cycle des amours de Jupiter, que le duc Frédéric a offerts à l’empereur Charles Quint.
[8] Gould (Cecil), The Paintings of Corregio, Londres, 1976, p. 132.
[9] Ibidem.
[10] On ne pouvait rêver pire destinataire que ce souverain prude et retardataire et qui finit ses jours dans un monastère, pour ces quatre chefs d’œuvre entièrement dédiés au plaisir charnel.
[11] Verheyen, 1966, pp. 160-192.
[12] Talvacchia (Bette), Taking Positions: On the Erotic in Renaissance Culture, Chicago, 1999.
[13] Par exemple, celle montrant Hermès surprenant Aglaure nue, dormant sur le dos, les cuisses largement ouvertes, ne cachant rien de son intimité. Jupiter et Sémélé, Jupiter et Io, figurent explicitement le coït. Neptune et Doride, Vulcain et Cérès illustrent un baiser « à l’italienne » (plus tard dénommé french kiss).
[14] Parma Armani (Elena), Perin del Vaga: L’anello mancante : studi sul manierismo, Gênes, 1986., 2006, p68.
[15] Shearman (John), Mannerism (Style and Civilization), Londres, 1991, 1991, p. 64: typical of Manierism in its approach to the erotic: described, more or less elliptically, but then neutralized […]. In art as in human behaviour, Maniera effects a sterilization of passion, as it does to all other germs of imperfection (à propos de la gravure Vertumne et Pomone). 
[16] Morel, p. 8 reprenant la citation de Verheyen, 1966, p. 185.
[17] cité p. 14.
[18] p. 15.
[19] p. 16.
[20] Ps, 42, 2 : Comme une biche soupire après des courants d’eau, Ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu!
[21] p. 12.
[22] p. 19 : « le partenaire de la jeune femme est quasiment immatériel ce qui crée une tension oxymorique »
[23] pp. 21-23
[24] Ecrit dans la deuxième décennie du XVIe siècle, imprimé à Venise en 1525.
[25] Le chapitre 14, « Causa del piacere sessuale secondo Aristotele et altri », analyse les causes du plaisir et les moyens de l’obtenir (on est assez loin des théories néoplatoniciennes !) : il invite à prendre son temps et à se méfier des plaisirs furtifs (emittendose presto non li e tanta delectazione). Au contraire : quand sans hâte nous dénouons et suivons cette langueur suave et cette douce fatigue : les yeux se lèvent, et les paupières battent plus rapides que d’habitude… (quando senza celerita ne resolvemo ne sequita quel suave langore e dolce straccheza: se alzano gli occhi, le palprebe sono piu veloce il solito…).
[26] Michelangelo Buonarroti, Il Sogno, 1533. Craie noire, 38,9 x 27,8 cm, London, Courtauld Gallery.
[27] p. 33. 
[28] p. 36.
[29] p. 46.
[30] Ibidem.
[31] p. 48.
[32] Dans ce chapitre et dans ceux qui l’encadrent, il insiste sur l’importance de donner et de prendre du plaisir. La jouissance extatique de Io, comme celle de Léda, laissent supposer que la pensée d’Equicola, mort en 1525, n’a pas été étrangère à la création du cycle de Corrège.
[33] Vénus Cupidon et un satyre, Huile sur toile, Louvre
[34] inspirée sans doute de la fresque de Michel-Ange représentant Eve tentée par le serpent (chapelle Sixtine, 2e voûte).
[35] Gould 1976, p 129
[36] p. 52.
[37] Louvre, Inv 775. Popham (Arthur Ewart Hugh), Correggios Drawings, Oxford, 1957, n° 84.
[38] L’auteur suppose que c’est au XVIIe siècle, à Fontainebleau par Anne d’Autriche.
[39] p. 65.

Testo italiano

Figura di spicco della grande scuola di pensiero iniziata da Louis Marin e continuata da Daniel Arasse e Hubert Damish, Philippe Morel, ha recentemente pubblicato un importante saggio dedicato al dipinto Io e Giove del Correggio, sulla scia di una logica critica tipica dei filosofi, in particolare dei semiotici, connessi alla Storia dell’Arte, che analizzano le opere inquadrando dettagli ignorati per secoli con uno stile brillante frutto di un’erudizione imponente che però a volte rasenta la preziosità.
Io e Giove è uno dei quattro dipinti dedicati agli amori di Giove, realizzati da Correggio tra il 1528 e il 1531; in Io e in Leda è rappresentato il coito vero e proprio, mentre Danae e Ganimede si collocano prima e dopo l’atto. Questi quattro capolavori hanno avuto un destino caotico: offerti a Carlo V da Federico II Gonzaga, che l’imperatore aveva nominato primo duca di Mantova, non rimasero in Spagna, e finirono dispersi.
Philippe Morel si concentra su Io e raramente parla del programma nel suo insieme. Innanzitutto nota che il pittore si discosta volontariamente dal testo delle Metamorfosi (Mét I, 568-624). Ovidio descrive chiaramente la fuga della ninfa (fugiebat enim) che rifiuta le avances del dio (nec de plebe deo, sed qui caelestia magna / sceptra manu teneo), poi il ratto (rapuitque pudorem, Mét I, 600).
Niente nel testo di Ovidio evoca consenso e ancor meno piacere. Tuttavia è proprio questo il soggetto della pittura del Correggio, il piacere e, più precisamente, il piacere femminile. Come sottolinea l’autore, l’artista segue la strada aperta dall’incisione di Caraglio, basata su un disegno di Perin del Vaga. I Modi di Giulio Romano in effetti vennero diffusi attraverso le incisioni di Marcantonio Raimondi, che però vennero proibite (e Raimondi fu anche imprigionato). Nel 1526 circa Jacopo Caraglio ne pubblicò una serie (su disegno di Perin del Vaga, ma anche con contributi di Rosso Fiorentino) che pur non riproducendo direttamente i Modi si ispirava all’opera di Giulio Romano: si tratta degli Amori degli dèi, dove – a differenza dei Modi di Giulio Romano- i protagonisti erano Dei, per l’appunto, e non persone normali; dando alle immagini un senso mitologico ( Giove, Venere, Mercurio, Apollo, Bacco e i loro partner) fu possibile  evitare la censura così che le stesse ebbero un’ampia diffusione.  Riguardo all’incisione di Caraglio e al disegno di Perin del Vaga, Morel cita un adattamento delle Metamorfosi di Nicolò degli Agostini, che opera lo stesso spostamento semantico, Giove si presenta sotto una luce molto migliore:
Con parlar non da deo ma d’huom cortese Bacciandoli la suavermiglia fascia Al fin del amor suo tutta l’ascesis… Parlandogli non come un dio, ma come un uomo cortese Baciandole il viso arrossato La attira interamente verso il suo amore…
 Nell’incisione Io manifesta il suo consenso stringendo con la mano i fianchi dell’amante, l’aquila di Giove funge da cuscino, Giove che ha conservato la sua forma è nascosto dalla nuvola allo sguardo di Giunone (“sua moglie”), Cupido osserva lo spettacolo, ma la sua presenza rafforza l’idea che la violenza ha lasciato il posto all’amore. Per inciso, la nuvola che nel testo di Ovidio aveva la funzione di creare oscurità accecando la ninfa, è ora un mezzo per proteggersi dallo sguardo inquisitore di Giunone. Il dramma si trasforma in vaudeville erotico.
Come mostra Philippe Morel, Correggio opera uno sconvolgimento radicale centrando la sua pittura su Io cui assegna un posto così prominente che tutto il resto viene messo in secondo piano: tanto che Giove non è più nascosto da una nuvola, è egli stesso una nuvola. La forza del dipinto sta nella rappresentazione del corpo di Io visto da dietro. E’ un’immagine di cui l’autore ripercorre velocemente la genesi: dal letto di Policleto, alla Venere di Raffaello alla Farnesina, proseguendo ben oltre il Rinascimento, fino a raggiungere la sua pienezza con due dipinti, quello di cui stiamo parlando e quello di Tiziano Venere e Adone. L’autore avanza l’ipotesi, e noi pensiamo di doverlo seguire, che Correggio, come Tiziano, abbia lavorato a partire da un modello e non, come Raffaello, dall’antico. È chiaro che “il sedile leggermente schiacciato” è un dettaglio che non esiste nei modelli greci. Presente anche in Tiziano, questa penetrante rappresentazione fu oggetto di una meticolosa descrizione da parte di Ludovico Dolce.
Come dice Morel, “l’efficacia erotica di questo dettaglio sarebbe dovuta sia al punto di vista sulle natiche, sia all’effetto di realtà proprio di questa carne segnata dalla posizione seduta”. Ciò che esprime questo corpo, che si impone allo spettatore, è il piacere: “è la rappresentazione dell’estasi amorosa della ninfa che polarizza l’attenzione“, “le sue labbra socchiuse e il suo sguardo smarrito lasciano immaginare il piacere o il godimento della giovane donna“.
L’autore passa poi al confronto con le opere religiose del Correggio. Non dobbiamo seguirlo su questa strada. Come nella tradizione dei suoi maestri, Philippe Morel si interessa a un dettaglio poco visibile e ne dà una spiegazione luminosa: il cervo che si disseta nell’angolo inferiore destro del dipinto non è altro che il simbolo del desiderio, a sua volta ispirato al Salmo 42. :
“nella poesia dei trovatori, il cervo è l’immagine dell’amante […] questa diffusa metafora amorosa e sessuale fu spesso utilizzata dagli artisti italiani del Rinascimento”.
L’autore ritorna più volte sul paradosso logico che consiste, per una ninfa, o per chiunque altro, nell’abbracciare una nuvola, analizzando – sulla base della sua straordinaria erudizione- i rapporti tra il corpo e la nuvola, le figure antropomorfe che si intravedono tra le nuvole, il vapore come rappresentazione dell’anima, gli angeli che diventano gassosi e viceversa. Egli cita più volte Ficino, colui che, attraverso la traduzione del banchetto di Platone e del suo De Amore o Commentarium in convivium platonis, pose l’amore al centro dei dibattiti filosofici per più di un secolo. Tuttavia, l’idea, intrisa di cristianesimo neoplatonico, che Ficino, ordinato sacerdote in tarda età, aveva dell’amore, ovvero cammino verso Dio attraverso la bellezza della persona amata, non è del tutto adeguata alla scena che si svolge davanti allo spettatore, né alle idee che possono venire in mente davanti a Io e Giove. Si può citare un altro filosofo. Infatti, se il dipinto è davvero l’espressione del piacere femminile, c’è da chiedersi da dove provenga se non dal tatto; questo senso, disprezzato dai neoplatonici, si esprime nella paradossale frizione prodotta da questo vaporoso spettro, viene dalla “lenta frizione” per usare l’espressione del ribelle allievo di Ficino, che esercitò un’influenza così importante nel Ferrara e Mantova, dove fu realizzato questo dipinto, Mario Equicola, che compose il Libro De Natura de Amore. Il capitolo 14 del Libro IV, in particolare, sembra adattarsi completamente al quadro. Ma come vedremo, l’interpretazione mantenuta da Philippe Morel non è la rappresentazione del piacere stesso ma del sogno di piacere o del piacere sognato. Il sogno è intrinseco a questo lavoro, in quanto amare uno spettro può essere semplicemente un sogno. Allo stesso modo il volto di Giove, un giovane che appare tra le nuvole, può essere considerato un’allucinazione, una visione o addirittura una maschera. L’autore dedica un lungo commento a questo modo di interprertare il dipinto, attingendo in particolare al celebre disegno di Michelangelo, Il Sogno, e all’opera teatrale di Eschilo, Prometeo incatenato, che racconta il suo sogno ricorrente su Titano. In questo sogno, Zeus fa un discorso seducente cui si ispirò Ovidio: “fanciulla, perché restare ancora vergine quando potresti unirti al più grande degli sposi…”.
L’autore sottolinea che il testo di Eschilo era conosciuto a Firenze nel Quattrocento, in particolare da Poliziano e che fu stampato all’inizio del Cinquecento, e fu addirittura oggetto di una stampa in greco, nel 1522 a Venezia. In questa prospettiva il dipinto sarebbe quindi “la conversione del sogno della ninfa nella fantasia erotica della veglia, che proietta la fantasia dell’essere desiderato“. Dalla phantasia alla fantasia, l’autore arriva al tema del potere dell’immaginazione che può modificare secondo Ficino la percezione della realtà. Per i neoplatonici, in particolare Porfirio, che Ficino tradusse, è il veicolo dell’anima quando discende dalle sfere celesti per incarnarsi. Il dipinto sarebbe quindi la “fotografia di un sogno” dove “portata dalla fantasia, Io si crede abbracciata dal dio e pensa di abbracciarlo…”. Quanto a Giove, “condiviso tra massa nuvolosa e maschera, non potrebbe che essere un simulacro”. Ciò avvicinerebbe la scena ad un altro mito, quello di Issione che crede di unirsi a Giunone che appare solo come nuvola, e che verrà comunque punito da Giove. Tuttavia, se la Giunone di Issone è davvero un’illusione, Io viene invece realmente violentata da Giove (rapuitque pudorem).
L’autore dedica l’ ultima parte del libro al vero soggetto del dipinto: il piacere femminile. Come abbiamo detto la donna occupa tutto lo spazio del dipinto, Giove è solo un agente al servizio del suo piacere. Per Philippe Morel, il pittore “non ci mostra la cruda realtà di un’unione sessuale, ma la sua esperienza onirica ridotta alla sfera tattile”. Per lui “la donna qui diventa soggetto e attrice principale del desiderio e del piacere amoroso” ma solo nello spazio dei sogni. Qui siamo tentati di fargli una domanda. Perché il piacere sessuale della ninfa dovrebbe limitarsi ai sogni, perché le dovrebbe essere negata la realtà del piacere, perché Io non sarebbe capace di deviare a suo vantaggio, gli impulsi erotici di Giove? Equicola, che difende il senso del tatto, il senso più volgare per Ficino, attribuisce una certa importanza al piacere fisico, compreso quello femminile. Il capitolo quindicesimo del quarto libro del suo De Amore si intitola: Se avere più piacere gli uomini o le donne. E conclude: “Per gli uomini il piacere intenso (e breve) dell’eiaculazione, per le donne il piacere esteso della frizione (nella fricazione)”. Il testo approfondisce il problema dei sogni notando che “Correggio ha già esplorato la vicinanza del piacere sessuale femminile e dei sogni” nel sonno di Venere del Louvre che per lungo tempo è stata chiamata Giove e Antiope. Oggi non c’è più alcun dubbio che rappresenti Venere, Cupido e un satiro. Venere e Cupido giacciono addormentati. Un satiro, in piedi, guarda Venere mentre termina di togliere il drappo che la proteggeva nascondendo opportunamente il proprio desiderio agli occhi dello spettatore. Venere è rappresentata in diagonale in un atteggiamento molto sensuale. La scena, che il pittore colloca in un magnifico sottobosco, il che fa pensare che il Satiro sia Pan, familiare con questi luoghi, riprende l’antico schema del personaggio femminile (ninfa, Venere, Ermafrodito) scoperto da un satiro. Gould parla di “delizia estatica”. Dice: “il bellissimo satiro solleva delicatamente il drappeggio azzurro. Alla vista delle forme squisite, stenta a credere alla sua fortuna” e sottolinea la bellezza del satiro che non è né irsuto né contraffatto. Questa bellezza risponde allo splendore di Venere di cui  Correggio accentuò curve e forme al punto da mettere a repentaglio la precisione anatomica ma rafforzando l’abbandono voluttuoso della dea.
Philippe Morel cita l’incisione del Sogno di Polifilo che è la prima manifestazione del ritorno di questo antico tema nell’immaginario rinascimentale. Ne deduce che il Satiro rispetterà la bellezza offerta, che si fermerà al “voyeurismo e alla concupiscenza” e si accontenterà del piacere solitario, che la tenda azzurra ci permetterebbe di discernere. Non possiamo seguirlo su questo punto e considerare che la fiaccola di Cupido, posata a terra, sia uno dei segnali premonitori di una scena d’amore. Lo spettatore può immaginare che, insoddisfatto della mera contemplazione, il desiderio del mezzo capro lo spingerà ad agire, con il consenso della dea, falsamente addormentata. Ma non è questa l’opinione dell’autore, per il quale il il satiro, come lo spettatore, si fermerà “al piacere di possedere l’altro attraverso il solo sguardo” rimanendo estraneo “al piacere voluttuoso della dea trasportata dai suoi sogni”.
​Il dipinto di Correggio non trovò molta accoglienza. Senza dubbio era troppo forte, quasi intimidatorio. Morel però richiama alcuni esempi di artisti del Settecento francese, come Jean-Baptiste-Marie Pierre, e sostiene che l’invenzione del Correggio fosse fonte di ispirazione “per la rappresentazione autonoma di una voluttuosa réverie femminile che costituirebbe il culmine dell’erotismo“. nella pittura della seconda metà del XVIII secolo”.
Possiamo non condividere certi percorsi interpretativi proposti dall’autore, resta il fatto che i temi  da lui esposti costringono il lettore a guardare a lungo il dipinto, a praticare una sorta di dialogo silenzioso con l’opera evocando 20 secoli di storia della filosofia. E questa meditazione eleva l’animo del lettore, cosa che non dovrebbe dispiacere ad un lontano discepolo di Marcile Ficino.