“Surréalisme”, 100 ans après le Manifeste, une grande exposition au Beaburg propose ses peintures les plus importantes (jusqu’au 13 janvier 2025). Texte original en français avec résumé en italien.
Beaubourg commémore les 100 ans du manifeste du Surréalisme par une exposition très riche présentant quelques œuvres majeures du mouvement.
Lorsque Breton a publié son manifeste, le mouvement avec déjà cinq ans puisque c’est en 1919 que Breton et Soupault avait publié le premier exemple d’écriture automatique, les Champs magnétiques. Aragon avait déjà publié ses deux grands romans surréalistes, Eluard écrit plusieurs de ses poèmes les plus importants, Max Ernst fait sa première exposition parisienne à la galerie « Au Sans Pareil », Desnos publié plusieurs recueils dont Rose Sélavy.
Le texte de Breton n’était donc pas l’acte de naissance[1]d’un mouvement qui dura une quarantaine d’années, ce qui est exceptionnel, mais l’expression du besoin de comprendre et d’établir ce qui était entendu par Surréalisme. Choisir de commémorer son centenaire donne malheureusement à l’exposition, malgré ses immenses qualités, un côté un peu « célébrations du ministère de la Culture » assez malheureux et même médiocre qui se traduit de diverses façons à commencer par le choix de présenter l’exposition à la façon d’un labyrinthe, ce qui fut pratiqué par le mouvement après qu’il eut perdu tout son potentiel révolutionnaire et par diverses maladresses sur lesquelles nous reviendrons.
Dans ce texte magnifique qui commence avec le ton véhément d’une prophétie[2], Breton donne la définition limpide du mouvement:
«automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ».
Ce texte présenté dans une salle ronde entourée d’un mur d’images, où on accède par un étroit couloir comme dans une cérémonie d’intronisation à une secte, est le premier grand moment de l’exposition. Nombreux sont les visiteurs qui n’hésitent pas à s’asseoir à même le sol pour profiter du défilement anarchique des images avant de passer de longues minutes à déchiffrer le manuscrit présenté en majesté.
Comme on le comprend immédiatement le mouvement surréaliste est avant tout un mouvement littéraire. Breton lui-même doutait qu’il y eut une peinture surréaliste. En effet la peinture qui est une pratique professionnelle contredit sur le fond la notion d’automatisme, de court-circuit de la rationalité qui sont à la base du mouvement. On mesure l’écart abyssal que cette volonté de désintermédiation de la pensée crée avec la peinture léchée des Magritte,Dali[3] ou Delvaux qui pourtant ornent tous les livres et dont les posters se vendent si bien. Il faudra que Max Ernst invente les collages de carte postale, les processus de décalcomanie ou de frottage, que soient mis au point les cadavres exquis, qu’André Masson fasse des tableaux mêlant colle et sable, puis invente le dripping repris par Pollock[4], que Dora Maar fasse des montages photographiques et Man Ray des insolations pour que des productions picturales se rapprochent de ce qu’avait défini Breton.
Car ce rejet du bien pensé, du bien raconté[5], du « bien fait », est essentiel. La grande différence entre Dada et le Surréalisme, tient dans le fait que Dada a été fait en territoire neutre par des hommes qui avaient évité ou fui la guerre, alors que le Surréalisme a été inventé par des hommes qui avaient une vingtaine d’années et qui l’avaient faite dans un pays qu’elle avait ravagé. Léger est revenu du front avec des images de machines plein la tête, Breton, Eluard, Aragon et Soupault avec des images de corps déchiquetés et des hurlements d’hommes rendus fous par la guerre industrielle. Ils en ont gardé une profonde défiance par rapport à la notion de progrès ou de rationalité et une haine farouche pour tout ce qui pouvait s’apparenter à la gloriole, à l’ordre établi, aux honneurs[6] et au monde bourgeois (dont ils étaient pour la plupart issus) en général.
L’exposition évoque les glorieux ancêtres du mouvement: Lautréamont, que Soupault avait redécouvert et qu’il avait fait connaître à Breton, Lewis Carroll, Sade… Elle insiste aussi sur ses grands mythes : la forêt, avec quelques Max Ernst magnifiques, la chimère, qui n’est pas loin de la métamorphose, le rêve, l’artiste-médium.
Le Surréalisme fut un mouvement très politisé. C’est parce qu’il « n’avait rien à faire de la révolution soviétique » que Desnos fut exclu en 1929. C’est pour ses accointances fascistes, que Dali fut mis à distance en 1934 et définitivement exclu en 1939. L’exposition est d’ailleurs remarquablement discrète sur ce côté sinistre de ce sinistre personnage que tout le monde considère comme un bouffon, un parfait crétin ou parfois comme un peintre (académique) uniquement intéressé par son œuvre, alors que c’était un arriviste sans foi ni loi et une authentique crapule admirant Hitler ; souhaitant l’établissement d’un ordre suprémaciste et vouant un véritable culte à Franco[7].
A part quelques individualités (Eluard et Aragon) le rapprochement avec le PC fut de courte durée. Le mouvement était trop libre être compatible avec le stalinisme. D’ailleurs ce mouvement si international n’eut aucune place en URSS. Cependant, les surréalistes n’étaient pas ambigus sur le fascisme et ses déclinaisons. On se souvient du poème de Desnos, qui fut déporté pour fait de résistance et mourut au camp de concentration de Theresienstad: « Maréchal Duconnaud » qui dit tout sur l’homme aux sept étoiles. L’exposition montre comment Masson et Victor Brauner, traitèrent comme il convient deux dictateurs célèbres.
Et dans cette période terrible ils surent donner une figure au monstre.
L’exposition qui se veut exhaustive, n’est malheureusement pas avare en croutes, rossignols, nanars et autres invendus du marché aux puces. La plus belle dans le genre est sans doute ce pur chef d’œuvre, la période dite « impressionniste » de Magritte.
Mais on peut aussi y voir ça :
Ou ça
Ou encore ça :
Le visiteur doit faire son propre chemin dans ce labyrinthe, sans s’attacher trop au discours et à la volonté de tout montrer, même ce qui est immontrable. Dans ce mouvement qui fut sans doute le plus ambitieux et le plus profond de tout le XXe siècle, ce mouvement qui voulait « changer la vie » (Arthur Rimbaud) et « transformer le monde » (Karl Marx), ce mouvement qui s’intéressait à toute les formes de pensée[8], à toutes les formes d’art[9] ou de littérature, les chefs-d’œuvre se trouvent à foison. Beaubourg en a rassemblé un très grand nombre et les a remarquablement présentés. Il y en a assez pour quatre ou cinq visites.
Philippe PREVAL Paris 15 Décembre 2024
Versione italiana
Surrealismo 4 settembre 2024 – 13 gennaio 2025
Beaubourg commemora il centenario del manifesto del Surrealismo con una mostra molto ricca che presenta alcune delle principali opere del movimento.
Quando Breton pubblicò il suo manifesto, il movimento aveva già cinque anni dato che nel 1919 Breton e Soupault pubblicarono il primo esempio di scrittura automatica, Magnetic Fields. Aragon aveva già pubblicato i suoi due grandi romanzi surrealisti, Eluard aveva scritto molte delle sue poesie più importanti, e Max Ernst fece la sua prima mostra parigina alla galleria “Au Sans Pareil”, Desnos pubblicando diverse raccolte tra cui Rose Sélavy.
Il testo di Breton non fu quindi l’atto di nascita di un movimento durato circa quarant’anni, cosa eccezionale, ma l’espressione dell’esigenza di comprendere e stabilire cosa si intendesse per Surrealismo. La scelta di celebrarne il centenario conferisce purtroppo alla mostra, nonostante le sue immense qualità, un aspetto un po’ infelice e perfino mediocre di “celebrazione del Ministero della Cultura” che si riflette in vari modi, a cominciare dalla scelta di presentare la mostra come un labirinto, cioè il percorso del movimento dopo che aveva perso tutto il suo potenziale rivoluzionario con i suoi vari errori sui quali torneremo. In questo magnifico testo che inizia con il tono veemente di una profezia, Breton dà la chiara definizione del movimento:
“Puro automatismo psichico, con il quale ci proponiamo di esprimere, sia verbalmente, sia per iscritto, o in qualsiasi altro modo, il funzionamento reale del pensiero. Dettatura del pensiero, in assenza di ogni controllo esercitato dalla ragione, al di fuori di ogni preoccupazione estetica o morale”.
Questo testo presentato in una stanza rotonda circondata da un muro di immagini, a cui si accede attraverso uno stretto corridoio come in una cerimonia di investitura settaria, è il primo grande aspetto della mostra. Molti visitatori non esitano a sedersi sul pavimento per godersi lo scorrimento anarchico delle immagini prima di trascorrere lunghi minuti a decifrare il manoscritto presentato maestosamente.
Come si capisce subito, il movimento surrealista è soprattutto un movimento letterario. Lo stesso Breton dubitava che esistesse un dipinto surrealista. Infatti la pittura, che è una pratica professionale, contraddice fondamentalmente la nozione di automatismo, di cortocircuito della razionalità che sono alla base del movimento. Possiamo misurare il divario abissale che questo desiderio di disintermediazione del pensiero crea con la pittura raffinata di Magritte, Dalì o Delvaux che tuttavia adornano tutti i libri e i cui manifesti si vendono bene. Era necessario che Max Ernst inventasse i collage di cartoline, i processi di trasferimento o di sfregamento, per sviluppare cadaveri squisiti, che André Masson realizzasse quadri mescolando colla e sabbia, poi inventare il dripping ripreso da Pollock, o che Dora Maar realizzasse montaggi fotografici di Man Ray affinché le produzioni pittoriche si avvicinassero a quanto Breton aveva definito. Perché questo rifiuto di ciò che è ben pensato, di ciò che è ben detto, di ciò che è “ben fatto”, è essenziale. La grande differenza tra Dada e Surrealismo sta nel fatto che Dada venne realizzato in territorio neutrale da uomini che avevano evitato o fuggito la guerra, mentre il Surrealismo è stato inventato da uomini che avevano circa vent’anni e che erano riusciti a farlo in un paese devastato. Léger tornava dal fronte con immagini di macchinari nella testa, Breton, Eluard, Aragon e Soupault con immagini di corpi straziati e urla di uomini impazziti a causa della guerra ormai industrializzata. Essi avevano maturato una profonda sfiducia nei confronti della nozione di progresso o di razionalità e un odio feroce per tutto ciò che poteva essere correlato alla gloria, all’ordine costituito, agli onori e ai valori del mondo borghese (da cui per la maggior parte provenivano).
La mostra evoca i gloriosi antenati del movimento come Lautréamont, che Soupault aveva riscoperto e che aveva fatto conoscere a Breton, Lewis Carroll, Sade… Ne sottolinea anche i grandi miti: la foresta, con alcuni magnifici Max Ernst, la chimera, che non è lontano dalla metamorfosi, dal sogno, dall’artista-mezzo.
Il surrealismo è stato un movimento molto politicizzato, non a caso dato che “non aveva nulla a che fare con la rivoluzione sovietica” Robert Desnos fu escluso nel 1929. E fu per i suoi legami con i fascisti che Salvador Dalì fu allontanato nel 1934 e definitivamente escluso nel 1939. La mostra è fin troppo sobria su questo detestabile aspetto di questo sinistro personaggio considerato un buffone, un completo idiota o talvolta semplicemente un pittore (accademico) interessato solo al suo lavoro, mentre era un carrierista senza legge, un vero mascalzone ammiratore di Hitler che auspicava l’instaurazione di un ordine suprematista e dedicava al dittaore Franco un vero culto.
A parte alcuni esponenti (Eluard e Aragon), l’avvicinamento al Partito comunista francese fu di breve durata. Il movimento era troppo libero per essere compatibile con lo stalinismo, senza contare che un movimento internazionale di questo tipo non aveva posto in URSS. Tuttavia, i surrealisti non erano ambigui riguardo al fascismo e alle sue varianti. Ricordiamo la poesia di Desnos, deportato per essere nella resistenza e morto. La mostraci fa vedere come André Masson e Victor Brauner trattarono adeguatamente due famosi dittatori.
L’esposizione, che vuole essere esaustiva, purtroppo non è avara di opere scarse, usignoli, nanar e altri oggetti invenduti provenienti dal mercatino delle pulci. Il più bello del genere è senza dubbio questo capolavoro puro, del cosiddetto periodo “impressionista” di Magritte.
Il visitatore deve farsi strada in questo labirinto, senza affezionarsi troppo al discorso e al desiderio di mostrare tutto, anche l’immostrabile. In questo movimento che è stato senza dubbio il più ambizioso e profondo di tutto il XX secolo, che voleva “cambiare la vita” (Arthur Rimbaud) e “trasformare il mondo” (Karl Marx), questo movimento che si interessava in tutte le sue forme del pensiero, in tutte le forme d’arte e di letteratura i capolavori si trovano in abbondanza. Beaubourg ne ha raccolti un gran numero e li ha presentati in modo notevole. Ce n’è abbastanza per quattro o cinque visite.
NOTE
[1] Contrairement à ce que dit le texte de présentation de l’exposition.
[2] Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort, fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage, et que lui a livrés sa nonchalance, ou son effort, son effort presque toujours, car il a consenti à travailler, tout au moins il n’a pas répugné à jouer sa chance (ce qu’il appelle sa chance !).
[3] Il a rejoint le mouvement en 1929 en imitant Max Ernst avec une technique impeccable. Auparavant, il faisait selon Breton une « séquelle de cubisme ».
[4] Dont Breton disait justement qu’il faisait de la peinture surréaliste.
[5] C’est parce qu’il était « trop littéraire » que Soupault fut exclu en 1926
[6] Max Ernst, fidèle entre les fidèles, sera exclu du mouvement pour avoir accepté le prix de la biennale de Venise.
[7] Voilà ce qu’il disait quelques jours après l’assassinat de l’amiral Carero Blanco, dauphin de Franco, par l’ETA :
” C’est le plus grand cadeau que l’on pouvait faire à notre généralissime Franco, a déclaré Salvador Dali. Le succès qu’il vient d’avoir aujourd’hui avec la manifestation où plus de deux millions de personnes l’ont acclamé comme le héros le plus grand de l’Espagne – tout le peuple espagnol se groupant autour de lui – ne lui serait jamais arrivé s’il n’y avait pas eu ces incidents. L’hostilité des pays étrangers l’a rajeuni de trente ans en un seul instant. C’est un être merveilleux. Cela prépare à l’avènement de la monarchie avec un succès colossal, et alors on verra que l’Espagne est un pays où, dans quelques mois, il n’y aura plus de terrorisme parce qu’ils vont être liquidés comme des rats. Il faudrait faire trois fois plus d’exécutions. Enfin, ça suffit pour le moment (…). Moi, je suis contre la liberté. Je suis pour la Sainte Inquisition. La liberté, c’est la merde, et c’est pour ça que tous les pays sombrent à cause de l’excès de liberté. Lénine l’avait dit : ” La liberté ne sert à rien. ” Non, non, je suis très antilibéral. Ce qui est merveilleux, c’est de savoir que la légende de Tristan et Iseut est née près de chez vous et que Hitler est devenu amoureux de cette légende : ce sont eux qui sont venus à nous et non pas nous à eux. De même que je trouve que Franco a une grande sagesse, je crois que Hitler a été un personnage impossible à un moment donné. Il n’a eu qu’un point de vue de type irrationnel qui a fait qu’il a compris le phénomène cathare plus que d’autres. » (publié dans Le Monde, le 03 octobre 1975).
[8] Breton était un grand lecteur d’Hegel et il alla rencontrer Freud en 1921.
[9] En particuliers les arts premiers d’Amérique ou d’Océanie
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