di Philippe PREVAL
L’Art de James Cameron[1], ou du bon usage des mots.
Le terme « Art », en français comme en italien, est très ambigu. Cette ambiguïté était déjà présente en latin. Ars, signifie à la fois le talent à faire certaines choses, ce qui permet de l’exprimer, en d’autres termes le savoir-faire, le métier, la profession et enfin les connaissances théoriques, techniques, supportant l’exercice d’un métier. C’est ainsi qu’on pouvait parler de l’art de tromper (1er sens), de l’art du boucher, c’est-à-dire de découper de la viande correctement (2e sens) ou de l’art des bâtisseurs (3e sens), c’est-à-dire de faire tenir des pierres ensemble pour obtenir des ponts ou des pyramides. Pour le praticien, le latin avait Artifex, qui pratiquait l’Ars dans ses trois acceptions en tant que maître comme en tant qu’ouvrier. Le français comme l’italien ont créé deux mots pour le praticien à mesure que le concept d’Art s’élaborait. Ils ont distingué de plus en plus clairement l’artiste (artista) de l’artisan (artigiano) et mis à l’écart l’ouvrier qui se caractérise par la réalisation de tâches répétitives sans invention particulière ni créativité. La séparation entre l’artisan et l’artiste remonte à la renaissance. Le premier reste totalement lié aux contraintes économiques, il se préoccupe du goût et de la satisfaction de ses clients. Quand Marie-Antoinette demandait au grand ébéniste Jean-François Riesner de modifier les meubles qu’il venait de lui livrer, il les reprenait sans mot dire. Riesner avait deux objectifs : satisfaire ses clients et faire payer ses factures pour payer ses ouvriers et nourrir sa famille. Riesner était un artisan et un entrepreneur. Il n’avait cure d’être un artiste. Il n’avait ni ego, ni vision, ni mission. Il n’en allait pas différemment de la plupart des grands maîtres de la première Renaissance. Mais un certain nombre d’individualités se sont dégagés de cette logique, en Italie d’abord et ailleurs ensuite. Ils s’en sont dégagés et partiellement libérés en imposant leur goût, leur vision, leur style, leur temporalité, leur mode de représentation des scènes et des corps. Ils ont joué sur toutes les contraintes que le corps social leur imposait. Parmi les multiples entrepreneurs en peinture, quelques noms s’imposent de toute évidence comme peintres, Michel-Ange, Vinci, Mantegna, Raphael, Titien… Ceux-là, conscients de leur action et de leur valeur, sortent du talent, du métier et de la technique, ceux-là inventent l’Art, que les siècles suivants tenteront de conceptualiser et de comprendre.
La cinémathèque française, qui fut jadis le fer de lance de la défense du cinéma en tant qu’Art, déroule donc le tapis rouge pour James Cameron, auteur de l’inoubliable Piranha 2, une histoire de poisson gastronome, Aliens 2, une sale bestiole spatiale, Terminator 1 et 2, un robot assez déplaisant, Titanic, un paquebot anglait insubmersible qui coule et Avatar 1 et 2, des humanoïdes de 3 mètres de haut au visage félin, armés d’arcs et de flèches, qui collent une raclée à une armée occidentale en opération extérieure, le rêve des indiens finalement réalisé par les talibans en Afghanistan. 300 « œuvres », des dessins et peintures du « maître », des photos, des scripts, tout ce qu’a pu amasser la fondation Avatar[2], qui a organisé l’exposition à la gloire du « maître » en la personne de Kim Buts[3], associée à un collaborateur de l’institution parisienne. Y a-t-il dans Piranha 2, Terminator 1 et 2, Titanic ou Avatar 1 et 2, autre chose que la volonté de remplir les salles en surprenant, flattant, cajolant, effrayant, séduisant le public, bref en touchant à peu près toutes les cordes de ce qu’il y a en dessous du néocortex qui fait que l’homme est l’homme, dans l’unique but de remplir les caisses d’Hollywood. Y a-t-il autre chose dans lesdites productions que le magistral savoir-faire d’un grand professionnel, d’un parfait artisan, d’un homme d’affaires avisé. Il y a beaucoup de choses, mais certainement pas de l’Art au sens que Baudelaire, Caravage ou Van Gogh ont donné à ce mot.
Il y a Art et art, mélanger les deux est une regrettable confusion des valeurs qui ne peut qu’entraîner la dilution de l’Art dans l’industrie du loisir. En Art comme en économie le vieux principe de Gresham reste vrai : la mauvaise monnaie chasse la bonne. Le faux art prend la place du vrai, l’infra-culture prend la place de la culture. Il y a quelques années Beaubourg avait été contacté pour le même genre d’exposition prête à l’emploie, cette fois consacrée à Stanley Kubrick, et l’avait refusée. Elle avait bien entendu été accueillie à bras ouverts par la Cinémathèque… Beaubourg refuse la confusion des valeurs et refuse de se mettre au service du soft power. Beaubourg a encore une conscience claire de sa mission et de la civilisation dont il participe. Toutes les institutions n’ont pas cette vertu.
Philippe PREVAL Paris 7 Avril 2024
NOTE
[1] An exhibition curated by Kim Butts, the creative director of The Avatar Alliance Foundation and Matthieu Orléan, artistic collaborator of la Cinémathèque française.
[2] Avatar Alliance Foundation.
[3] Kim Butts is the creative director of The Avatar Alliance Foundation.
Versione Italiana
L’Arte di James Cameron, ovvero il buon uso delle parole.