Le pire n’est jamais sûr. “Bande dessinée, 1964 – 2024”: quand les BD paient le billet du musée (Beaubourg, jusqu’au 4 novembre 2024: (texte original en français avec résumé en italien).

di Philippe PREVAL

Beaubourg va fermer pendant 5 ans à partir de l’automne 2025.

On voudrait se dire qu’il faut profiter du temps qui reste pour se précipiter au musée d’Art Moderne, mais celui-ci semble avoir anticipé sa mise au tombeau et son accrochage, noyant quelques chefs d’œuvre parmi des toiles de brocanteurs, relève du protocole compassionnel.  L’établissement rayonnant de Pontus Hulten aura été l’éducateur de plusieurs générations, la crépusculaire institution qui nous est échue, en accompagne une autre dans la confusion mortifère.

Mais comme dit si bien le proverbe, le pire n’est jamais sûr, et si la visite du musée national d’Art Moderne, est une simple escroquerie, celle de l’exposition Bande dessinée, 1964 – 2024, est un véritable enchantement. Se déployant de 1964 à 2024 en une douzaine d’espaces, elle donne un panorama très riche de la production, allant d’Astérix le gaulois aux mangas, de Maus au Surfer d’Argent, de Guido Crepax à la BD underground newyorkaise.

Dans une interview récente, Art Spiegleman, Magister supremus, a souligné que ce qui est bien avec cette exposition, c’est qu’elle donne à voir sans didactisme. C’est précisément cela. En particulier, elle laisse de côté le problème de savoir s’il s’agit ou non « d’art ». Le visiteur se fera son opinion sur le sujet. Une très grande compétence structure cette exposition, une très grande érudition aussi, mais l’une et l’autre savent s’effacer au profit de l’expérience du visiteur qui parfois retrouve de vielles connaissances, à d’autres moments découvre des auteurs inconnus ou encore prend mieux conscience de l’importance d’un créateur. Il peut ainsi y passer de longs moments, y revenir et vivre des expériences à chaque fois nouvelles et à chaque fois enrichissantes.

Les premiers pas sont consacrés à Éric Losfeld et aux éditions Le Terrain Vague. Auteur et éditeur de livres érotiques, proches des surréalistes, signataire du Manifeste des 121, Losfeld fut un grand découvreur de talents et l’un des maïeuticiens de la BD pour adultes avec notamment Barbarella de Jean-Claude Forest, Lolly Strip de Georges Pichard,

Loane Sloane de Philippe Druillet, et bien entendu Valentina de Guido Crepax.

La merveilleuse Barbarella, qui parcourt la galaxie pour promouvoir la paix et la concorde, est représentée par quelques montages originaux, en particulier le fameux épisode de la machine excessive qui tente de la faire mourir de plaisir, sans y parvenir cependant, la navigatrice se contentant d’un simple « vous n’avez pas honte » pour clore la séance.

Figure 1: Forest, Barbarella, encre de Chine et lavis, 1964
Figure 2: Forest, Barbarella, encre de Chine et lavis, 1964

Contemporaine est l’aventure Pilote, menée par le génial René Goscinny, dont la disparition prématurée à 51 ans a laissé tant de lecteurs inconsolables, qui produisit à la fois Astérix, Tanguy et Laverdure, Achille Talon, Blueberry, Philémon, les Dingodossiers, la Rubrique-à-brac, ou encore Lucky Luke. Comment avec tant de génies au mètre carré, l’entreprise se débrouilla-t-elle pour être constamment en difficulté financière reste un mystère mais quels résultats époustouflants !

L’humour subtile de Gotlib se perçoit dans la planche suivante, où le dessinateur sort de sa sépulture tenant une couronne mortuaire à la main où se devinent les mots : A NOT(RE) (CH)ER DIS(PARU).

Figure 3 Gotlib (Marcel Gottlieb), Rubrique-à-brac, encre de chine, 1974

Ici, c’est tout l’onirisme de Fred (Frédéric Aristidès), créateur de Philémon, qu’on peut entrevoir.

Figure 4: Fred, Simbabbad de Batbad, 1974
Figure 5: Fred, L’enfer des épouvantails, 1983

Dans les années 60, Bruxelles et Paris rivalisaient d’invention dans le domaine de la bande dessinée. Les deux grandes maisons d’édition, Dupuis et Dargaud se disputaient les talents et les revues, et certains dessinateurs distribuaient leurs faveurs entre les deux villes. Il est normal que dans l’exposition, André Franquin trône en majesté, en particulier avec une planche des Idées noires, son chef d’œuvre.

Figure 6 Franquin, Idées noires, encre de Chine, 1977

La bande dessinée permet de tout exprimer. Elle peut, à peu de frais, faire surgir des villes entières et proposer des points de vue novateurs (une section est consacrée à ses rapports avec le paysage urbain), elle peut aussi terroriser les lecteurs (une autre section traite de l’Effroi)

Figure 7 : Will Eisner, Central city, New York, 1984.
Figure 8 : François Schuiten, Les cités obscures, 1988

Mais elle peut tout aussi bien montrer le monde et l’univers familial par les yeux d’un petit garçon qui affronte la vie avec son fidèle compagnon, le tigre Hobbes ou atteindre la poésie pure comme avec les aventures de Snoopy qui transfigura le cadre du cartoon.

Figure 9 : l’espace Effroi (fright)
Figure 10: Bill Waterson, Calvin et Hobbes, 1993
Figure 11: Charles Schulz, Peanuts, 1964.

Elle est aussi capable de traiter des arts plastiques et de la littérature, par elle-même avec les « graphic novels » ou en s’appuyant sur le patrimoine littéraire.

Figure 12: l’espace Géométrie
Figure 13 Gary Panter, Jimbo in purgatory (d’après la Divine Comédie), 2004

Enfin elle peut se saisir de l’histoire, comme Tardi qui illustre d’abord le Voyage au bout de la nuit puis décide de se confronter directement à la guerre de 14-18 dans de nombreux albums, ou Art Spiegelman qui avec Maus donne une contribution définitive à l’ancrage de la Shoah dans la conscience collective.

L’espace Spiegelman est la plus grande réussite et le cœur de l’exposition.

Figure 14: Jacques Tardi, Putain de guerre, 2008-2009

C’est aussi la partie la plus émouvante, sans doute parce que sous les images magnifiques d’ Art Spiegelman, il est possible d’entendre la voix de son père Vladek, dont le témoignage a été transcrit dans les divers tomes qui composent Maus  :

Figure 15: L’espace Spiegelman
Figure 16: Art Spiegelman, MAUS (ch 7: Mauschwitz), 1980-1991
Figure 17 Art Spiegelman MAUS (ch 6 Mouse trap) 1980-1991

Une telle exposition est si vaste et si dense que chacun peut y trouver ce qu’il cherche et se laisser entraîner vers ce qu’il ne cherchait pas. Il faut la visiter plusieurs fois pour en découvrir des aspects différents. Comme toujours, il est possible de noter ce qui manque, de faire la liste des absents, mais par son foisonnement, sa qualité esthétique et les merveilles qu’elle donne à voir, cette exposition est une très grande réussite.

Philippe PREVAL  Paris 28 Juillet  2024

Versione italiana

Beaubourg chiuderà per 5 anni a partire dall’autunno 2025.

Vorremmo dire che dovremmo approfittare del tempo che ci resta per precipitarci al Museo d’Arte Moderna, che però sembra aver anticipato la sua scomparsa, inserendo alcuni capolavori tra quadri da rigattieri, come da protocollo del compassionevole. La brillante istituzione di Pontus Hulten sarà stata l’educatrice di diverse generazioni, ma l’istituzione crepuscolare che ci è toccata, ci precipita nella confusione mortale. Come si suol dire, il peggio non è mai certo, e se la visita al Museo Nazionale d’Arte Moderna può apparire una semplice truffa, quella della mostra Comic Strip, 1964 – 2024 è un vero incanto.
Distribuito dal 1964 al 2024 in una decina di spazi, regala un panorama di produzione ricchissimo, che spazia da Asterix il Gallico ai manga, da Maus a Silver Surfer, da Guido Crepax ai fumetti underground newyorkesi. In una recente intervista, Art Spiegleman, Magister supremus, ha sottolineato che il bello di questa mostra è che si propone senza didatticismo. È proprio così. In particolare, lascia da parte il problema di sapere se si tratti o meno di “arte”. Il visitatore si formerà la sua opinione sull’argomento. Una grandissima maestria è alla base di questa mostra, una grandissima erudizione anche, ma entrambe sanno sfumare a favore dell’esperienza del visitatore che a volte ritrova vecchie conoscenze, altre volte scopre autori sconosciuti o addirittura diventa più consapevole dell’importanza di un creatore. Può così trascorrervi lunghi momenti, tornare e vivere ogni volta esperienze nuove e arricchenti.
I primi passi sono dedicati alle edizioni Éric Losfeld e Le Terrain Vague. Autore ed editore di libri erotici, vicino ai surrealisti, firmatario del Manifesto dei 121, Losfeld è stato un grande talent scout e una delle menti dei fumetti per adulti, tra cui Barbarella di Jean-Claude Forest, Lolly Strip di Georges Pichard, Loane Sloane di Philippe Druillet e ovviamente Valentina di Guido Crepax.
La meravigliosa Barbarella, che viaggia per la galassia per promuovere la pace e l’armonia, è rappresentata da alcuni montaggi originali, in particolare il famoso episodio della macchina degli eccessi che tenta di farla morire di piacere, senza però riuscirci, accontentandosi la navigatrice di un semplice “non ti vergogni” per concludere la seduta.
Contemporanea è l’avventura Pilote, del geniale René Goscinny, la cui scomparsa prematura all’età di 51 anni lasciò inconsolabili tanti lettori; produsse Asterix, Tanguy e Laverdure, Achille Talon, Blueberry, Philémon, i Dingodossiers, i Rubrique-à -brac, o anche Lucky Luke.
Come con così tanti geni l’azienda sia riuscita a trovarsi costantemente in difficoltà finanziarie rimane un mistero ma che risultati mozzafiato! Il sottile umorismo di Gotlib può essere visto nella tavola seguente, dove il designer emerge dalla sua tomba tenendo in mano una corona funebre dove si possono indovinare le parole: A NOT(RE) (CH)ER DIS(PARU).
Vi è tutto il sogno che possiamo intravedere di Fred (Frédéric Aristidès), creatore di Philémon.
Negli anni ’60 Bruxelles e Parigi gareggiavano per le invenzioni nel campo dei fumetti. Le due grandi case editrici, Dupuis e Dargaud, gareggiavano per talenti e riviste, e alcuni designer distribuivano i loro favori tra le due città. È normale che nella mostra André Franquin sieda maestoso, in particolare con Idées noirs, il suo capolavoro.
I fumetti permettono di esprimere tutto anche far emergere intere città e offrire punti di vista innovativi (una sezione è dedicata al rapporto con il paesaggio urbano),ma  può anche terrorizzare i lettori (un’altra sezione tratta della Paura):
Ma può altrettanto facilmente mostrare il mondo e l’universo familiare attraverso gli occhi di un ragazzino che affronta la vita con la sua fedele compagna, la tigre Hobbes, o raggiungere la pura poesia come con le avventure di Snoopy che ha trasfigurato la cornice del cartone animato. Inoltre è in grado di occuparsi anche di arti visive e letteratura, da solo con le “graphic novel” o facendo leva sul patrimonio letterario. Infine sa cogliere la storia, come Jacques Tardi che prima illustra Viaggio al termine della notte poi decide di affrontare direttamente la guerra del 14-18 in numerosi albi, o Art Spiegelman che con Maus dà un contributo definitivo all’ancoraggio della Shoah nell’immaginario collettivo.
Lo spazio Spiegelman è il più grande successo e il cuore della mostra. È anche la parte più commovente, senza dubbio perché sotto le magnifiche immagini di Art Spiegelman è possibile ascoltare la voce di suo padre Vladek, la cui testimonianza è stata trascritta nei vari volumi che compongono Maus.
Una tale esposizione è così vasta e così densa che ognuno può trovare ciò che cerca e lasciarsi attrarre da ciò che non cercava. Bisogna visitarla più volte per scoprirne i diversi aspetti. Come sempre, è possibile notare ciò che manca, fare un elenco degli assenti, ma per la sua abbondanza, la sua qualità estetica e le meraviglie che espone, questa mostra è un grande successo.