Les Couleurs de la Sérénissime. La peinture vénitienne à la Residenzgalerie de Salzbourg jusqu’au 6 janvier 2025 (texte original en français avec résumé en italien).

di Philippe PREVAL

Venezia mi piace assai !

Cette expression qui se trouve dans une lettre que Mozart envoya le 13 février 1771 à son ami Johann Nepomuk Hagenauer, pourrait être le sous-titre de l’exposition que la Residenzgalerie de Salzbourg consacre à la peinture vénitienne.

Bien que parfois orageux au cours de leur histoire, les rapports de Venise et Vienne n’en sont pas moins profonds. Les Habsbourg qu’ils soient d’Espagne ou d’Autriche ont été les principaux clients du plus grand peintre vénitien, Titien, les plus beaux tableaux de Véronèse, ornaient le château de Rodolphe à Prague, et si concernant les architectes, l’influence a toujours été romaine, comme pour Johann von Erlach, dont l’œuvre doit beaucoup à Bernin et Borromini, pour ce qui est des musiciens comme des peintres, l’inspiration fut très souvent vénitienne. S’il fallait une preuve de l’importance de ces liens, la richesse des collections du Kunsthistorisches Museum qui fournit l’essentiel des œuvres présentées dans cette magnifique exposition en serait la meilleure preuve. Elle retrace de façon très pertinente l’histoire de la peinture vénitienne, de la Renaissance au Rococo.

Figure 1: Bernardo Strozzi, Le doge Francesco Erizzo, 1631, Kunsthistorisches Museum

Le titre Les Couleurs de la Sérénissime joue sur une certaine ambiguïté, faisant référence d’une part à l’utilisation particulière de la couleur dans la peinture vénitienne, on se souvient que Venise était la place de marché des pigments en Europe, et d’autre part aux couleurs mêmes dans lesquelles la ville se présente aux visiteurs entre soleil doré et miroitement de la lagune. Les portraits d’élégantes vénitiennes et de hauts dignitaires reflètent l’idée qu’ils se font d’une puissance commerciale prospère, tandis que les peintures de paysages invitent à la contemplation.

Peint par Bernardo Strozzi, c’est le doge, Francesco Erizzo, paré d’hermine et d’or, qui accueille les visiteurs. A cette époque, l’âge d’or de la sérénissime est passé depuis plusieurs générations, mais rien ne le laisse deviner dans la pose hiératique du doge.

Il est suivi d’un petit tableau allégorique qui était sans doute un de ces tableaux emblématiques à double face si prisés à Venise auxquels le Met consacre en ce moment une exposition[1].

Figure 2: Peintre vénitien, Putto jouant du tambourin, vers 1510, Kunsthistorisches Museum

Ce petit tableau inaugure la présentation de quelques belles toiles renaissance dont deux très beaux Bassano, un Véronèse biblique – Adam et Eve après leur expulsion du paradis – et un Paris Bordon.

Figure 3:Bassano, le frappement du Rocher, 1583, , Kunsthistorisches Museum
Figure 4: détail du précédent

Laseconde section de l’exposition est consacrée à la peinture profane d’inspiration mythologique. Haut lieu de l’industrie de l’imprimerie, renommée en particulier pour la redécouverte du patrimoine antique avec l’éminent éditeur Aldo Manuci, la Venise du XVIe siècle ne pouvait pas manquer de donner à la peinture mythologique une inflexion nouvelle. Les textes anciens se diffusent largement et les collectionneurs érudits commandent de plus en plus d’œuvres à thème mythologique, qu’ils admirent en particulier pour la sensualité avec laquelle les amours entre dieux et déesses sont mis en scène. Entourés de petits bronzes raffinés représentant dieux et héros antiques, érudits et artistes prennent plaisir à converser parmi les livres et les tableaux. La pratique du studiolo qui était un siècle plus tôt l’apanage des princes, devient commune pour les marchands.

C’est dans ce contexte que Titien, travaillant directement avec des intellectuels de premier plan comme l’Arioste, mais faisant preuve d’une grande capacité d’invention, peint des tableaux extraordinaires basés sur les Métamorphoses d’Ovide qu’il nomme poésies et qui passent directement de son atelier aux résidences de Charles-quint et Philippe II. Leur succès se traduit par de nombreuses variations, que le maître réalise en collaboration avec son atelier et qui se prolongent aux cours des siècles.  Le Diane et Actéon d’Andrea Schiavone reprend l’œuvre de Titien aujourd’hui à la Nationnal Gallery de Londres tant dans son sujet que dans son style, et un siècle plus tard, avec ses moyens un peu plus limités, Giulio Carpioni fait écho à une des premières œuvres profane du peintre.

Figure 5: Diane et Actéon d’Andrea Schiavone, , Kunsthistorisches Museum
Figure 6: Giulio Carpioni, Bacchanale, , Kunsthistorisches Museum

Mais ces répliques s’effacent bien vite devant les amours de Mars et Vénus que le maître peint avec une sensualité à jamais inégalable. Le contact des bouches, les joues roses de désir de Vénus, la main gauche de la déesse qui caresse les cheveux de son amant, la main de Mars qui remonte vers le sexe de la déesse, jamais un artiste n’avait peint ainsi le désir partagé et la volupté, que Titien parvient à transmettre en donnant par la couleur la perception même du toucher. Cette peinture transgresse la frontière des sens.

Figure 8: détail du précédent.
Figure 7: Titien, Mars et Vénus, vers 1565, , Kunsthistorisches Museum

Au même moment la production de peinture religieuse atteignait elle aussi des sommets. Elle est représentée par quelques œuvres importantes dont 2 Tintoret magnifiques.

Figure 9: Tintoret, la déposition du Christ, 1547, Kunsthistorisches Museum
Figure 10: Tintoret, La résurection du Christ, 1585, Kunsthistorisches Museum

On note que le colorito alla veneziana, déploie sa munificence sans se préoccuper des sujets. Vivant auprès du port qui accueillait l’importation de nombreux produits de luxe, notamment de la soie, des tapis et surtout des pigments rares et précieux, l’artiste vénitien, conçoit un type de peinture que les collectionneurs d’art de l’Europe entière s’efforceront d’acquérir pendant des siècles.

L’exposition bifurque ensuite vers une section intitulée « Moments dramatiques et réflexion intérieure »

Elle vaut surtout par deux chefs d’œuvre. Le Guerrier de Giorgione est typique des images fascinantes dans lesquelles le peintre compose un récit subtil, tendu par des contrastes raffinés dont le secret ne nous sera jamais révélé. Le guerrier découvre avec sang-froid un personnage étrange émergeant de l’obscurité devant lui. Ennemi ou diable, une confrontation semble imminente comme le suggère le geste du personnage qui saisit le bras du guerrier. S’agit-il d’une vieille histoire où un chevalier de retour de croisade est confronté à la tentation du malin, comme l’a représentée Dürer contemporain du peintre, d’un condottiere couronné de lauriers doit soudain, au sortir de son triomphe, faire face à la mort ou d’une banale querelle de taverne ? Rien ne peut le dire.

Figure 11: Giorgione, Le guerrier, 1505, Kunsthistorisches Museum
Figure 12: détail du précédent. le contraste entre la noblesse des traits du guerrier et la vulgarité de son opposant est saisissant

Le second est la Judith de Véronèse. Les vénitiens étaient passé maître dans l’art de représenter des belle done. Plusieurs sont présentes dans l’expositions, courtisanes, filles ou femmes de marchands comme de patriciens, aucune n’atteint la beauté de cette Judith, mélancolique et pure, se préparant à déposer la tête d’Holopherne dans le sac, que lui tend sa servante.

Figure 13: Véronèse, Judith, 1582, Kunsthistorisches Museum.

Après avoir évoqué les rapports entre peinture et musique qui était si importante à Venise, sous le terme Euphonie et harmonie, l’exposition s’achève par le rococo vénitien avec en particulier Sebastiano Ricci qui eut une véritable carrière européenne, puisqu’il voyagea en France, en Angleterre mais aussi aux Pays-Bas. Il fut aussi le maître de Paul Troger (Monguelfo 1698 – Vienne 1762), qui apprit la peinture dans son atelier. Cet artiste intéressant qui décora de nombreuses églises d’Autriche, en particulier celles de son Tyrol natal et celles de Salzbourg, dans un style parfaitement vénitien, résume à la fois le crépuscule du collorisme de la lagune et les relations étroites entre le raffinement autrichien et celui de la sérénissime.

http://[1] https://www.aboutartonline.com/le-portrait-et-son-double-au-metropolitan-museum-au-coeur-des-cours-princieres-de-la-renaissance-texte-original-en-francais-avec-resume-en-italien/

Philippe PREVAL  Paris  8 Septembre 2024

Versione italiana
I colori della Serenissima.
 Pittura veneziana alla Residenzgalerie di Salisburgo fino al 6 gennaio 2025.
Venezia mi piace assai!
Questa espressione, che si ritrova in una lettera che Mozart inviò il 13 febbraio 1771 all’amico Johann Nepomuk Hagenauer, potrebbe essere il sottotitolo della mostra che la Residenz galerie di Salisburgo dedica alla pittura veneziana. Sebbene a volte burrascosi nel corso della loro storia, i rapporti tra Venezia e Vienna non sono meno profondi. Gli Asburgo, sia spagnoli che austriaci, furono i principali clienti del più grande pittore veneziano, Tiziano, ed i dipinti più belli del Veronese adornavano il castello di Rodolfo II a Praga; per quanto poi riguarda gli architetti, l’influenza è sempre stata romana, come per Johann von Erlach, la cui opera deve molto a Bernini e Borromini, ed anche per musicisti e pittori, l’ispirazione era molto spesso veneziana. Se ci fosse bisogno di provare l’importanza di questi legami, la ricchezza delle collezioni del Kunsthistorisches Museum, che ha concesso la maggior parte delle opere presentate in questa magnifica mostra -che ripercorre in modo molto rilevante la storia della pittura veneziana dal Rinascimento al Rococò-  ne sarebbe la prova migliore. Il titolo I Colori della Serenissima gioca su una certa ambiguità, riferendosi da un lato al particolare uso del colore nella pittura veneziana (ricordiamo che Venezia era il mercato dei pigmenti in Europa), e dall’altro ai colori con cui la città si presenta ai visitatori, tra il sole dorato e il luccichio della laguna. I ritratti di eleganti donne veneziane e di alti dignitari riflettono l’ idea di un prospero potere commerciale, mentre i dipinti di paesaggi invitano alla contemplazione.
Dipinto da Bernardo Strozzi, è il doge Francesco Erizzo, ornato d’ermellino e d’oro, ad accogliere i visitatori, quando in realtà, l’epoca d’oro della serenissima è passata da diverse generazioni, ma nulla lo suggerisce nella posa ieratica del doge.
Segue un piccolo dipinto allegorico, senza dubbio uno di quegli emblematici dipinti bifacciali così apprezzati a Venezia a cui il Met dedica attualmente una mostra.
Questo piccolo dipinto inaugura la presentazione di alcuni bellissime opere rinascimentali tra cui due molto belli di Bassano, un Veronese biblico – Adamo ed Eva dopo la loro cacciata dal paradiso – e un notevole Paris Bordon.
La seconda sezione della mostra è dedicata alla pittura secolare di ispirazione mitologica. Mecca dell’industria tipografica, rinomata soprattutto per la riscoperta del patrimonio antico con l’illustre editore Aldo Manuci, la Venezia del Cinquecento non poteva non dare nuovo influsso alla pittura mitologica. I testi antichi ebbero una larga diffusione e i collezionisti eruditi ordinarono sempre più opere a tema mitologico, che ammiravano soprattutto per la sensualità con cui venivano raffigurati gli amori tra dei e dee. Circondati da piccoli e raffinati bronzetti rappresentanti antichi dei ed eroi, studiosi e artisti erano soliti conversare tra libri e dipinti. La pratica dello studiolo, che un secolo prima era prerogativa dei principi, divenne comune anche per i mercanti. È in questo contesto che Tiziano, collaborando direttamente con intellettuali di spicco come l’Ariosto, ma mostrando una grande inventiva, dipinge straordinari dipinti basati sulle Metamorfosi di Ovidio, che arrivavano direttamente dalla sua bottega alle residenze di Carlo V e Filippo II. Il loro successo si riflette in numerose varianti, che il maestro realizza in collaborazione con la sua bottega e che si sono succedute nel corso dei secoli. Diana e Atteone di Andrea Schiavone riprende l’opera di Tiziano oggi alla National Gallery di Londra sia nel soggetto che nello stile, e un secolo dopo, con capacità leggermente più limitata, Giulio Carpioni fa eco a una delle prime opere secolari del pittore.
Sono richiami destinati però a svanire presto di fronte agli amori di Marte e Venere che il maestro dipinge con una sensualità che non avrà mai eguali. Il contatto delle bocche, le guance rosee di Venere espressione di desiderio, la mano sinistra della dea che accarezza i capelli del suo amante, la mano di Marte che risale verso il sesso della dea, mai un artista ha dipinto il desiderio in questo modo condivisione e voluttà, che Tiziano riesce a trasmettere donando attraverso il colore perfino la percezione stessa del tatto: un dipinto che trapassa il confine dei sensi.
Allo stesso tempo anche la produzione di dipinti religiosi raggiunse i suoi massimi livelli come dimostrano  alcune importanti opere tra cui 2 magnifici lavori fi Tintoretto.
Va detto che il colorito alla veneziana dispiega la sua munificenza senza preoccuparsi dei soggetti. Vivendo vicino al porto che accoglieva l’arrivo di molti prodotti di lusso, in particolare seta, tappeti e soprattutto pigmenti rari e preziosi, l’artista veneziano delineò un tipo di pittura che i collezionisti d’arte europei seguiranno per secoli.
Il percorso espositivo si dirama poi verso una sezione intitolata “Momenti drammatici e riflessione interiore”
Vale soprattutto la pena di considerare almeno due capolavori. Il Guerriero di Giorgione è tipico di immagini affascinanti in cui il pittore compone una narrazione sottile, di raffinati contrasti, il ​​cui segreto non ci sarà mai svelato. Il guerriero scopre con calma una strana figura che emerge dall’oscurità davanti a lui. Nemico o diavolo, lo scontro sembra imminente come suggerisce il gesto del personaggio che afferra il braccio del guerriero. È una vecchia storia quella in cui un cavaliere di ritorno dalla crociata si confronta con la tentazione del maligno, come la dipinse Dürer, contemporaneo del pittore, di un condottiero coronato di alloro che deve improvvisamente, dopo i momenti del suo trionfo, affrontare la morte o una banale lite da taverna? Nessuno può dirlo.
La seconda opera da prendere in esame è certamente la Giuditta di Veronese. Diverse effigi femminili sono in effetti presenti: cortigiane, figlie o mogli di mercanti e come pure nobili e patrizi, nessuna però raggiunge la bellezza di questa Giuditta, malinconica e pura, che si appresta a riporre nella borsa la testa di Oloferne.
Dopo aver accennato al rapporto tra pittura e musica così importante a Venezia, sotto il termine Eufonia e armonia, la mostra si conclude con opere del rococò veneziano, con in particolare con Sebastiano Ricci che conobbe una vera e propria carriera europea, poiché viaggiò in Francia, Inghilterra ed anche nei Paesi Bassi. Fu anche maestro di Paul Troger (Monguelfo 1698 – Vienna 1762), che imparò a dipingere nella sua bottega. Questo interessante artista che decorò numerose chiese in Austria, in particolare quelle del nativo Tirolo e quelle di Salisburgo, in uno stile perfettamente veneziano, riassume sia il crepuscolo del colorismo lagunare sia gli stretti rapporti tra la raffinatezza austriaca e quella della serenissima.