Les “Épopées Célestes” à la Villa Médicis, jusqu’au 19 mai avec 180 œuvres de “l’Art brut” de la collection Decharme (texte original en français avec résumé en italien).

di Philippe PREVAL

EPOPEE CELESTI

Art brut nella collezione Decharme

L’exposition que la Villa Médicis (du 1er mars au 19 mai 2024) consacre aux « marges de la création »[1] offre un singulier écho aux travaux de Giuseppe Resca, dont nous avons récemment parlé [2]. Depuis les années 1970, le cinéaste Bruno Decharme rassemble une collection « l’Art Brut » considérable qui atteint aujourd’hui 6000 pièces. Aux cours des années il a créé une fondation (ABCD [3]), financé des études ou des expositions et récemment fait une donation très importante à Beaubourg (1000 pièces). La Villa Médicis a eu la bonne idée de présenter 180 pièces de cette collection en 6 domaines et d’éditer un catalogue très documenté.

La notion d’Art brut, inventée par Jean Dubuffet (Le Havre, 1901 – Paris, 1985), qui fut aussi son premier collectionneur, est pour le moins complexe et fuyante. Dubuffet y mettait tout ce qui n’entrait pas ailleurs et d’une certaine manière tout ce qui l’intéressait comme œuvre d’art non reconnue comme telle. Le concept émergea de la collection qu’il rassembla: des œuvres produites par des malades mentaux, des prisonniers, des marginaux, des asociaux, le seul terme commun étant le fait d’être « hors système » ou, à tout le moins, autodidacte. Jean Dubuffet définit l’art brut comme

« des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (…) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. »[4]. Bien entendu cette « définition » porte une faiblesse congénitale, elle n’a pas de consistance autre que le goût de son fondateur. Dubuffet, bon bourgeois du Havre, homme d’affaires avisé, qui suivit des cours de dessins et s’inscrivit à Paris à l’Académie Julian, relève-t-il de l’art brut ? Oui si on regarde certaines de ses œuvres, en particulier celles produites de 1944 à la fin des années 1950. Il n’est certes pas « indemne de culture artistique » pour autant il est clair que son œuvre provient « seulement de ses propres impulsions ».

Roger Caillois collectionnait les pierres pour de multiples raisons et inventait ensuite une logique à sa démarche et une cohérence narrative à ses assemblages, il en va de même des collections d’art brut. Elles comprennent parfois des œuvres admirables mais souvent s’y glissent quelques passagers clandestins, comme Anselme Boix-Vives dont un groupe de marchands parisiens, ayant chacun un stock de quelques dizaines d’œuvres, essaye depuis de longues années de faire le nouveau Gaston Chaissac, à coup de monographies, d’articles et d’expositions.

Il reste que collectionner c’est avant tout aimer et désirer partager cet amour. C’est ce que permet l’exposition qui très opportunément donne la biographie des artistes. Elles méritent d’être lues, comme méritent d’être lues les plaques rassemblant les noms des enfants juifs déportés et assassinés. Ces noms sont ceux d’êtres sans destin, pour reprendre l’expression d’André Kertész. Lire ces noms, c’est lutter à son niveau contre les forces obscures qui ont annihilé ces destins.

La plus grande partie des biographies sont des destins terribles.

Henry Darger (1892-1973) perd sa mère à 4 ans, est placé en foyer par son père puis interné dans une institution pour enfants attardés dont il s’échappe à 17 ans pour finir par devenir homme de ménage dans un hôpital de Chicago. A sa mort, on retrouvera des milliers de dessins dans sa chambre. Adolf Wölfi (1864-1930) est abandonné par son père à 7 ans, placé comme valet de ferme, ballotté de familles en familles pour finir en hôpital psychiatrique où il mourra après avoir produits des centaines de dessins et de partitions. Jonh B Murray (1908-1988) est un afro-américain né et élevé dans la misère. Illettré il est journalier dans les plantations du sud, se marie, a 11 enfants et s’enferme de temps à autres dans une cabane pour dessiner.

Figure 1 Jonh B Murray Encer et gouache
Figure 2 Jonh B Murray Encer et gouache

Née dans la bourgeoisie Berlinoise, Unica Zurn est victime d’un inceste de la part de son frère. Après la séparation de ses parents, elle devient la belle-fille d’un officier supérieur SS. En 1953, elle rencontre Hans Bellmer fasciné par l’œuvre de Sade et l’accompagne à Paris. Il en fait « sa poupée », la photographie nue, ligotée.. Le terme « sous emprise » est un euphémisme.

Après avoir quitté Bellmer et fait divers séjours en clinique, elle reviendra chez lui pour se jeter par la fenêtre. Quand on regarde les œuvres, on ne peut pas ne pas penser aux destins brisés qui les ont produites et ont su tirer de leur solitude et de leur souffrance des oeuvres parfois magnifiques.

Figure 3 Unica Zurn, encre et gouache, 1965

Le visiteur doit se laisser guider par sa propre sensibilité. L’exposition est certes structurée en 6 parties dont les plus intéressantes sont pour moi les « Anarchitectures », inventions de villes, de temples ou de palais délirants, les hétérotopies scientifiques (pour reprendre les mots de Foucault), où les artistes reprennent et détournent le langage ou les productions de la science, comme les coupes anatomiques, et les cartographies mentales qui rappellent par bien des points les gribouillages de Calvino. Mais comme on l’aura compris, découper cette réalité hétéroclite en 6, en 4 ou en 12 est arbitraire et ne peut être qu’un prétexte à la délectation pour reprendre le terme de Nicolas Poussin. On peut s’arrêter longuement devant le « temple » d’ACM (André Corinne Marié (1951 – 2021), fait d’une carcasse de machine à écrire agrémentée de composants électroniques et autres résidus industriels passés à l’acide et repeints, où se laisser emporter par le graphisme époustouflant de Zdenek Kosek (1949-2015).

Figure 4 ACM assemblage1960
Figure 5 Zdenek Kosek
Figure 6 Zdenek Kosek

Après les Histoires de pierres de Roger Caillois, la villa Médicis décide une nouvelle fois, de s’écarter des sentiers battus et c’est à nouveau avec bonheur.

Philippe PRERVAL  Villa Medici Roma 17 Marzo 2024

Note

[1] https://www.villamedici.it/fr/expositions/epopees-celestes/
[2]https://www.aboutartonline.com/donner-et-recevoir-la-mort-le-processus-creatif-de-caravage-comme-resultat-delements-psychotiques-un-livre-qui-ouvre-la-voie-a-des-evolutions-imprevisibles-texte-original-en-franca/
[3] https://abcd-artbrut.net/
[4] Dubuffet, L’Art Brut préféré aux arts culturels, Paris, 1949.

Versione Italiana

Epopee – paradisiache a Villa Medici

Dal 1 marzo al 19 maggio 2024
La mostra che Villa Medici dedica ai “margini della creazione” (1) offre un’eco singolare all’opera di Giuseppe Resca, di cui abbiamo recentemente parlato (2). Dagli anni ’70, il regista Bruno Decarme ha messo insieme una considerevole collezione “Art Brut” che oggi conta 6.000 pezzi. Nel corso degli anni ha creato una fondazione (ABCD3), finanziato studi o mostre e recentemente ha fatto una donazione molto significativa al Beaubourg (1000 pezzi). A Villa Medici hanno avuto la buona idea di presentarne 180 con un catalogo ben documentato.
La nozione di Art Brut, inventata da Jean Dubuffet (Le Havre, 1901 – Parigi, 1985), è a dir poco complessa e sfuggente. Dubuffet vi comprendeva tutto ciò che artisticamente era estraneo a quanto conosciuto e fuori dai tradizionali contesti, come si comprende bene dalla collezione da lui stesso raccolta: opere prodotte da malati di mente, prigionieri, emarginati, asociali, il cui termine comune fosse essere “fuori dal sistema” o, quanto meno, autodidatta, definendone in questo modo le caratteristiche: “Opere eseguite da persone senza cultura artistica, in cui la mimica, contrariamente a quanto accade tra gli intellettuali, ha poca o nessuna parte, così che i loro autori possono ricavare tutto ...  dal proprio background e non dai cliché dell’arte classica o alla moda.
Si tratta insomma di un’arte pura e cruda, del tutto reinventata dal suo autore, basandosi esclusivamente sui propri impulsi” (4).
 E’ una “definizione” che sconta una debolezza congenita, dato che non ha altra consistenza che il gusto del suo fondatore Dubuffet. Buon borghese di Le Havre, astuto uomo d’affari, seguì corsi di disegno e si iscrisse a Parigi all’Académie Julian; si può dire che appartenga all’Art brut? Sì, se guardiamo alcune delle sue opere, in particolare quelle realizzate dal 1944 alla fine degli anni 50. Sicuramente non è “estraneo alla cultura artistica” tuttavia è chiaro che il suo lavoro nasce “solo dai suoi stessi impulsi“. Roger Caillois collezionava pietre per molteplici ragioni e poi inventava una logica nel suo approccio e una coerenza narrativa nei suoi assemblaggi; lo stesso vale per le collezioni di arte non convenzionali. A volte si tratta di opere ammirevoli, ma spesso si insinuano alcuni clandestini, come Anselme Boix-Vives, il cui gruppo di mercanti parigini, ciascuno con un patrimonio di poche decine di opere, tenta da molti anni di creare il nuovo Gaston Chaissac, attraverso monografie, articoli e mostre. Resta il fatto che collezionare è soprattutto amare e voler condividere questo amore.
Questo è ciò che permette la mostra a Villa Medici, che molto opportunamente riporta la biografia degli artisti. Meritano di essere letti, così come meritano di essere lette le targhe con i nomi dei bambini ebrei deportati e assassinati, nomi di esseri senza destino, per usare l’espressione di André Kertész. Leggere questi nomi significa lottare contro le forze oscure che li hanno annientati.
La maggior parte delle biografie degli artisti Art brut delineano tristi destini. Enrico Darger (1892-1973) ad esempio perse la madre all’età di 4 anni, fu affidato dal padre ad una famiglia affidataria e poi venne internato in un istituto per bambini ritardati dal quale fuggì a 17 anni per finire a fare l’addetto alle pulizie in un ospedale di Chicago. Quando morì, nella sua stanza furono ritrovati migliaia di disegni. Adolf Wölfi (1864-1930) invece fu abbandonato dal padre all’età di 7 anni, impiegato come bracciante agricolo, sballottato di famiglia in famiglia per finire in un ospedale psichiatrico dove morì dopo aver – anche lui- realizzato centinaia di disegni e spartiti. John B Murray (1908-1988) era un afroamericano nato e cresciuto in povertà. Analfabeta, lavorò come giornaliero nelle piantagioni del sud, si sposò, ebbe 11 figli e di tanto in tanto si chiudeva in una capanna a disegnare.
Borghese di Berlino, Unica Zurn fu vittima di un incesto da parte del fratello. Dopo che i suoi genitori si separarono, divenne nuora di un alto ufficiale delle SS. Nel 1953 incontrò Hans Bellmer, affascinato dall’opera di de Sade, con cui si trasferì a Parigi. Costui ne fa “la sua bambola”, la fotografia nuda e legata. Per lei dire che fu “sotto l’influenza” è un eufemismo. Dopo aver lasciato Bellmer e dopo vari soggiorni in cliniche, tornerà a casa sua per gettarsi dalla finestra.
Quando guardiamo le opere, non possiamo fare a meno di pensare ai destini spezzati che le hanno prodotte e che hanno saputo trarre dalla loro solitudine e dalla loro sofferenza risultati spesso significativi.
Il visitatore deve lasciarsi guidare dalla propria sensibilità.
La mostra è strutturata in 6 parti, le più interessanti delle quali mi sono apparse le “Anarchitetture”, invenzioni di città, templi o palazzi pazzeschi, le eterotopie scientifiche per dirla alla Foucault, dove gli artisti riprendono e deviano il linguaggio o le produzioni della scienza, come le sezioni anatomiche, e le mappe mentali che per molti versi ricordano gli schemi di Calvino. Ma come avremo capito, dividere questa realtà eterogenea in 6, 4 o 12 è arbitrario e non può che essere un pretesto di diletto, per usare l’espressione di Nicolas Poussin. Ci si può fermare a lungo davanti al “tempio” dell’ACM (André Corinne Marié (1951 – 2021), costituito dalla carcassa di una macchina da scrivere decorata con componenti elettronici e altri residui industriali acidati e ridipinti, dove rilassarsi trasportati lontano dalla grafica mozzafiato di Zdenek Kosek (1949-2015).
Dopo Le storie di pietra di Roger Caillois, Villa Medici decide ancora una volta di deviare dai sentieri battuti e lo fa nuovamente con gusto.