Triste fin de Beaubourg: une petite boutique des horreurs. A propos des choix d’exposition du musée national d’art moderne de Paris (texte original en français avec résumé en italien).

di Philippe PREVAL

La petite boutique des horreurs. A propos des choix d’exposition du musée national d’art moderne de Paris.

Il y a une quarantaine d’années, Paul Watzlawick, génie protéiforme issu du judaïsme viennois et dont les drames du XXe siècle firent un professeur de Palo Alto, publiait coup sur coup deux livres essentiels: The Situation Is Hopeless but Not Serious: The Pursuit of Unhappiness (1983), traduit par Faites vous-mêmes votre malheur, Ultrasolutions (1986), traduit en français par le lumineux Comment réussir à échouer. Watzlawick y reprenait les résultats des recherches qu’il avait menées dans de nombreux domaines, la philosophie, la logique, la psychologie analytique, la théorie de la communication, mais, alors que ses ouvrages précédents étaient assez formels, il écrivait de façon très abordable exprimant le plus souvent sa pensée grâce à de petites histoires assez drôles.

Il est bien dommage que le grand Paul nous ait quitté il y a 17 ans, car il eut fait son miel de la façon dont le musée national d’art moderne de Paris présente sa collection. La présentation semble en effet avoir été pensée pour constituer un addendum à son Comment réussir à échouer. La première mission d’un musée est de conserver les œuvres dont il a la garde. Ensuite il a trois autres objectifs dont l’importance et la faisabilité varient suivant les contextes : mettre en valeur sa collection, participer à l’éducation des visiteurs, faire progresser l’histoire de l’art. Il est évident qu’un musée monographique se contentera de valoriser sa collection mais il est clair aussi que les musées disposant d’une collection encyclopédique et veillant constamment à la compléter et à en éliminer les lacunes ont l’objectif de donner un panorama historique le plus complet possible. Il y a deux façons de construire sa culture artistique, la première est de voyager par le monde et de voir les grands chefs d‘œuvre, la seconde est d’habiter près d’un grand musée. Car avant d’aller dans les livres, il faut avoir un contact direct avec les chefs d’œuvre.

Or s’il ne vient à l’idée de personne de soupçonner Beaubourg d’un défaut de conservation, il est clair qu’il a abandonné l’idée de mettre en valeur sa collection puisqu’il ne la montre plus, de participer à l’éducation des visiteurs puisqu’il ne leur propose qu’un choix confus et un parcours absurde, de faire de l’histoire de l’art puisque des pans entiers de celle-ci ont disparu.

Et pour être concrets, posons-nous une question simple : un touriste canadien paye-t-il un billet d’entrée 15 Euros pour voir Marie Laurencin, Kees Van Dongen, Georges Rouault, Maria Blanchard, ou le duo formé par Albert Gleizes et Jean Metzinger qui en 1912 eurent le culot de publier « du cubisme ».

Il est évident que la réponse est non ! ils viennent voir Picasso, Braque, Léger, Matisse, Juan Gris, Kandinsky, et les autres. Et pourtant, il faut attendre 10 salles pour voir le premier Picasso, et le visiteur n’en verra pas plus de 5 ! il verra en tout et pour tout un Braque, aucun Gris et ainsi de suite. Mais il verra une salle entière de Rouault. En bref de la collection, seul Matisse est sauvé avec une salle dédiée, mais pour combien de temps. Beaubourg cache sa collection comme s’il en avait honte. On se demande bien pourquoi les conservateurs d’après-guerre, Jean Cassou et Bernard Dorival en tête, conscients du travail catastrophiques de leurs prédécesseurs, sont allés prendre leur bâton de pèlerin pour visiter chaque artiste et lui demander de faire l’aumône au musée désargenté d’un pays ruiné, de quelques tableaux. Tous répondirent favorablement, mais de cela les nouveaux conservateurs, qui rappellent par bien des points ceux d’avant-guerre, n’ont cure.

Leur art moderne c’est ça :

Figure 1: Marie Laurencin, Danseuse couchée, 1937. Achat de l’état 1937. A l’époque le musée ne comptait pas un seul Picasso, pas un seul Braque !

Le « nymphisme » charmant de Marie Laurencin, décorée de la légion d’honneur en 1935, époque où elle était considérée comme une gloire nationale, ce qui en dit long sur l’époque, portraitiste de la bonne société, qui maria peinture et vie mondaine pendant un demi-siècle… Le poète surréaliste Philippe Soupault avait l’avait qualifiée de « sale punaise », quant à sa peinture, si le terme désuet d’ouvrage de dame était encore permis, il la décrirait parfaitement. Si Göring avait « spolié la France » en faisant transporter quelques-uns de ses tableaux dans sa résidence, Gertrude Stein, en revanche, dont le goût pictural était assez sûr, se débarrassa rapidement de son « portrait de groupe » qui est aujourd’hui à Boston, le jugeant « insuffisamment moderne et trop décoratif ». Elle avait tout dit Gertrude et il y a 100 ans !

Leur art c’est ça :

Figure 2 Maria Blanchard, L’enfant à la glace, 1925. Achat de l’état 1953. A l’époque le musée ne comptait pas un seul Miro, pas un seul Max Ernst !

Dans une pièce de Feydeau (le Dindon) un des acteurs fait rire le public en commentant mezzo voce les propos du maître de maison qui vient de dire fièrement « il m’a dit, les musées n’en ont pas de comme ça » d’un assassin « heureusement ! »[1]. Eh bien maintenant, si ! ils en ont et surtout, ils les montrent.

Leur art c’est ça : les portraits mondains de Van Dongen !

Figure 3: Kees Van Dongen

Et ces deux tableaux font face à ceux-là !

Figure 4: Picasso (1932 et 1925) et Braque 1935.

Et parmi les OPNI (objets picturaux non identifiés), il y a aussi ça :

Figure 5: Juliette Roche, Sans titre 1918, don de la fondation Albert Gleizes 2023.

Issue de la meilleure bourgeoisie, Juliette Roche fut élève de Maurice Denis, épousa Albert Gleizes, cubiste de second niveau, en 1911, et vécut dans la société des beaux-arts jusqu’en 1980.

Il y a sans doute un biais de pensée contemporain qui consiste, au nom de l’égalité des sexes, et sans prendre en compte l’effet curieux de la rétroaction, à aller chercher par tous les moyens des « femmes peintre » quitte à partager les goûts picturaux d’un maréchal nazi ou à collectionner les « épouses de » dans les brocantes. Dans cet esprit, il faut se rappeler les réflexions de notre bon Paulot :

«Une idée, pour peu qu’on s’y accroche avec une conviction suffisante, qu’on la caresse et la berce avec soin, finira par produire sa propre réalité »[2].

En d’autres termes, mettez des croutes dans un musée prestigieux, forcer les visiteurs à les regarder, ça finira par devenir des chefs d’œuvre. Hélas, Paul Watzlawick, s’exprime au second degré et dans ses livres, ceux qui pensent que le réel est une production de leur esprit sont précisément les patients qui ont défilé dans son cabinet de psychanalyste.

Mais cette idéologie « féminitaire » et cette politique du quota, n’expliquent pas tout. Elles n’expliquent ni la mise à l’honneur de Rouault ni celle de Van Dongen, ni la présence de beaucoup d’autres toiles exhibées en lieu et place des chefs d’œuvre laissés dans les réserves ou déportés à Metz (l’annexe de Beaubourg). Le mal est plus profond. Il remonte sans doute à la blessure d’amour propre des conservateurs français qui achetaient des Marie Laurencin à peine secs, alors que les Américains achetaient des Picasso et des Matisse. En remettant nos vielles croutes nationales à l’honneur et en les complétant adroitement par quelques pépites trouvées aux puces, on veut forcer les spectateurs du monde entier à admettre qu’après tout, et compte tenu du relativisme ambiant, nous n’avions pas tout à fait tort. Le résultat est hélas assez pitoyable. Comme un enfant qui veut à toute force faire entrer le rond dans le carré par ce qu’il n’a pas compris le sens du jeu d’éveil qu’on lui a offert, cette démarche ne réussit qu’à dégrader l’image du musée.

Et pourtant, Beaubourg, ça pourrait être ça :

Figure 6: Georges Braque, Compotier, bouteille et verre, 1912, donation Louise et Michel Leiris, 1984.

Et pendant des années ce le fut. Ce fut un lieu enchanteur où les amateurs d’art du monde entier pouvaient voir des tableaux extraordinaires dans une architecture magnifique, où les lycéens et les étudiants pouvaient construire leur culture. Mais les vents mauvais de la mode, qui ont soufflé dans la mauvaise direction et le besoin impérieux de changer l’accrochage en permanence, ont produit cette petite boutique des horreurs picturales.

En 1968, un militant Tchèque avait écrit : Lénine réveille-toi ! Ils sont devenus fous. On pourrait aujourd’hui écrire : « Pontus reviens ! Ils sont redevenus comme avant ».

Philippe PREVAL   Paris 11 Août  2024

NOTE

[1] LUCIENNE, qui sʼest levée. Eh bien ! vous avez vu les tableaux de mon mari, monsieur Pontagnac ?
VATELIN.: Je crois bien ! Il a été enchanté ! Il mʼa dit : “Les musées nʼen ont pas de comme ça !” (À Pontagnac.) Nʼest-ce pas ?
PONTAGNAC. :Oui, oui, oui. (À part.) Heureusement ! On sonne.
VATELIN, indiquant le pan coupé gauche. Tenez ! Jʼen ai encore par là,… si vous voulez ?…
PONTAGNAC: Non, non ! pas toutes les joies le même jour ; jʼaime mieux en garder pour une autre fois.
VATELIN. : Ah ! cʼest dommage que cette pauvre madame Pontagnac soit dans cet état, jʼaurais été fier de lui montrer ma galerie.
[2] Paul Watzlawick, Faites vous-mêmes votre malheur.

Versione italiana

Circa quarant’anni fa, Paul Watzlawick, un genio proteiforme dell’ebraismo viennese i cui drammi del XX secolo lo resero professore a Palo Alto, pubblicò due libri essenziali in rapida successione: The Situation Is Hopeless but Not Serious: The Pursuit of Unhappiness (1983), tradotto Make Your Own Unhappiness, Ultrasolutions (1986). Watzlawick riprese i risultati delle ricerche che aveva condotto in molti campi, filosofia, logica, psicologia analitica, teoria della comunicazione, ma, sebbene i suoi lavori precedenti fossero piuttosto formali, scriveva in un modo molto accessibile esprimendo il più delle volte i suoi pensieri piccole storie piuttosto divertenti. È un peccato che il grande Paul ci abbia lasciato 17 anni fa, perché avrebbe guadagnato da come  il Museo Nazionale d’Arte Moderna di Parigi presenta la sua collezione che sembra infatti essere stata pensata per costituire un addendum al suo How to Succeed in Failing.
La prima missione di un museo è preservare le opere affidate alla sua cura. Poi ha altri tre obiettivi la cui importanza e fattibilità variano a seconda del contesto: mettere in mostra la collezione, partecipare all’educazione dei visitatori, far progredire la storia dell’arte. È ovvio che un museo monografico si accontenterà di promuovere la propria collezione, ma è anche chiaro che i musei che hanno una collezione enciclopedica e vigilano costantemente al suo completamento e all’eliminazione delle lacune, hanno l’obiettivo di fornire un panorama storico il più completo possibile. Un fruitore ha due modi per costruire la propria cultura artistica, il primo è viaggiare per il mondo e vedere grandi capolavori, il secondo è vivere vicino a un grande museo. Perché prima di andare sui libri bisogna avere un contatto diretto con i capolavori.
Ora, il Beaubourg sembra mostrare un difetto di conservazione, sembra infatti aver abbandonato l’idea di mettere in mostra la sua collezione tant’è che non la mostra più, come pure non pare voler partecipare all’educazione dei visitatori poiché offre per loro solo una scelta confusa, e anche riguardo alla storia dell’arte interi settori di essa sono scomparsi. E per essere concreti, poniamoci una semplice domanda: un turista canadese paga un biglietto d’ingresso di 15 euro per vedere Marie Laurencin, Kees Van Dongen, Georges Rouault, Maria Blanchard, oppure il duo formato da Albert Gleizes e Jean Metzinger che nel 1912 ha avuto l’ardire di pubblicare “cubismo”. La risposta ovvia è no! vengono a vedere Picasso, Braque, Léger, Matisse, Juan Gris, Kandinsky e gli altri. Eppure, bisogna aspettare 10 stanze per vedere il primo Picasso, e il visitatore non ne vedrà più di 5! vedrà in tutto e per tutto un Braque, nessun Gris e così via e invece un’intera stanza per Rouault. Insomma della collezione si salva solo Matisse con una sala a lui dedicata, ma – viene da chiedersi- per quanto tempo? Beaubourg nasconde la sua collezione come se se ne vergognasse. Ci chiediamo perché i curatori del dopoguerra, Jean Cassou e Bernard Dorival in testa, consapevoli del lavoro catastrofico dei loro predecessori, andarono con il loro bastone da pellegrini per visitare ogni artista e chiedere di fare l’elemosina al museo squattrinato di alcuni dipinti. Tutti risposero favorevolmente, ma i nuovi conservatori, che per molti versi ricordano quelli prebellici, non se ne sono preoccupati. La loro arte moderna è questa:
Figure 1: Marie Laurencin, Danseuse couchée, 1937. Achat de l’état 1937. A l’époque le musée ne comptait pas un seul Picasso, pas un seul Braque !
L’affascinante “ninfismo” di Marie Laurencin, insignita della Legion d’Onore nel 1935, epoca in cui era considerata una gloria nazionale, cosa che la dice lunga sull’epoca, ritrattista della buona società, che sposò per mezzo secolo pittura e vita mondana… Il poeta surrealista Philippe Soupault l’aveva definita uno “sporco insetto”, in quanto alla sua pittura, se fosse ancora consentito il termine antiquato “lavoro femminile”, lui la descriverebbe perfettamente. Se Göring aveva “rovinato la Francia” facendo trasportare alcuni dei suoi quadri nella sua residenza, Gertrude Stein, invece, il cui gusto pittorico era abbastanza sicuro, si sbarazzò rapidamente del suo “ritratto di gruppo” che oggi si trova a Boston, giudicato “insufficientemente moderno e troppo decorativo”. Aveva detto tutto Gertrude e 100 anni fa!
La loro arte è questa:
Figure 2 Maria Blanchard, l’enfant à la glace, 1925. Achat de l’état 1953. A l’époque le musée ne comptait pas un seul Miro, pas un seul Max Ernst !
In una pièce di Feydeau (Le Dindon) uno degli attori fa ridere il pubblico commentando con mezza voce le parole del conduttore che ha appena detto con orgoglio “mi ha detto, i musei non ne hanno così” “un assassino” per fortuna! » . Ebbene sì, adesso! li hanno e soprattutto li mostrano. Questa è la loro arte: i ritratti mondani di Van Dongen!
Figure 3: Kees Van Dongen
E questi due dipinti sono di fronte a questi !
Figure 4: Picasso (1932 et 1925) et Braque 1935.
E tra gli OPNI (oggetti pittorici non identificati), c’è anche questo:
Figure 5: Juliette Roche, sans titre 1918, don de la fondation Albert Gleizes 2023.
Proveniente dalla migliore borghesia, Juliette Roche fu allieva di Maurice Denis, sposò Albert Gleizes, cubista di secondo livello, nel 1911, e visse nella società delle belle arti fino al 1980. Esiste indubbiamente un pregiudizio di pensiero contemporaneo che consiste, in nome dell’uguaglianza di genere, e senza tener conto del curioso effetto del feedback, nel ricercare con tutti i mezzi “donne pittrici”, anche se questo significa condividere i gusti pittorici di un Maresciallo nazista o collezionare “mogli di” nei mercatini delle pulci. In questo spirito dobbiamo ricordare le riflessioni del nostro buon Paulot: «Un’idea, finché ci aggrappiamo ad essa con sufficiente convinzione, la accarezziamo e la culliamo con cura, finirà per produrre la propria realtà » .
In altre parole, mettere le croste in un museo prestigioso, costringere i visitatori a guardarle, finiranno per diventare dei capolavori. Purtroppo Paul Watzlawick parla in secondo grado e nei suoi libri coloro che pensano che la realtà sia una produzione della loro mente sono proprio i pazienti che sfilavano nello studio del suo psicanalista. Ma questa ideologia “femminista” e questa politica delle quote non spiegano tutto. Non spiegano né l’onorificenza di Rouault né quella di Van Dongen, né la presenza di molti altri dipinti esposti al posto dei capolavori lasciati nelle riserve o deportati a Metz (l’appendice del Beaubourg).
Il male è più profondo. Ciò risale senza dubbio all’autostima ferita dei conservatori francesi che comprarono Marie Laurencin appena asciutti, mentre gli americani comprarono Picasso e Matisse. Rimettendo in primo piano le nostre vecchie croste nazionali e integrandole abilmente con qualche pepita trovata nei mercatini delle pulci, vogliamo costringere gli spettatori di tutto il mondo ad ammettere che dopo tutto, e dato il relativismo imperante, non avevamo tutto assolutamente sbagliato . Il risultato purtroppo è abbastanza pietoso. Come un bambino che vuole disperatamente far rientrare il cerchio nel quadrato perché non ha compreso il significato del gioco educativo che gli è stato proposto, questo approccio riesce solo a degradare l’immagine del museo. Eppure, Beaubourg, potrebbe essere questo:
Figure 6: Georges Braque, Compotier, bouteille et verre, 1912, donation Louise et Michel Leiris, 1984.
E per anni lo è stato. Era un luogo incantevole dove gli amanti dell’arte di tutto il mondo potevano vedere dipinti straordinari in una magnifica architettura, dove gli studenti delle scuole superiori e dei college potevano costruire la loro cultura. Ma i venti malvagi della moda, che soffiavano nella direzione sbagliata e l’urgente necessità di cambiare continuamente gli allestimenti, hanno prodotto questo piccolo negozio di orrori pittorici. Nel 1968 un attivista ceco scriveva: Lenin svegliati! Sono impazziti. Oggi potremmo scrivere: “Pontus sta tornando!” Sono tornati come prima”.