di Philippe PREVAL
TRADUZIONE ITALIANA IN CALCE
Nous recevons et publions volontiers cette note de notre collaborateur parisien Philippe Préval sur les polémiques qui ont affecté le programme d’ouverture des Jeux Olympiques en relation avec une utilisation jugée incorrecte de la Cène de Léonard de Vinci, particulièrement critiquée par de larges secteurs du traditionalisme catholique
(Riceviamo e volentieri pubblichiamo questa nota del nostro collaboratore parigino Philippe Preval sulle polemiche che hanno investito il programma dell’apertura dei Giochi Olimpici in relazione ad un uso ritenuto scorretto della Ultima Cena di Leonardo da Vinci particolarmente criticata da ampi settori del tradizionalismo cattolico).
Après une cérémonie d’ouverture promise à tous les dangers, puisqu’elle s’est déroulée dans une ville et non dans un stade comme de coutume, et couronnée malgré les intempéries d’un succès mondial, quelques critiques en France comme à l’étranger se sont élevées. Si tout le monde s’est accordé sur la prouesse technique, la beauté de certaines scènes, en particulier le départ de la mongolfière et la prestation magistrale de Céline Dion, d’autres ont pris leur distance par rapport à l’intégration de travestis dans le spectacle, l’évocation de l’exécution de Marie-Antoinette ou l’évocation du dernier repas du Christ. Différents hommes politiques en Italie, Matteo Salvini ou Gennaro Sangiuliano, en Hongrie, Victor Orban, aux USA, Donald Trump ou encore en Turquie, Recep Tayyip Erdogan, ont critiqué vertement les attaques dont aurait été victime la religion chrétienne.
Le progressisme et l’ouverture d’esprit ne semblent pas être le trait commun de ces différents intervenants mais allons au fait. Ils invoquent une parodie de la Cène de Léonard de Vinci, de la Cène tout court et la douleur que celle-ci aurait infligée aux Chrétiens ou, suivant les sources, aux Catholiques. Le communiqué du ministère de la culture italien est sur ce point sans ambiguïté :
«perché ovviamente tutti i fedeli della religione colpita si sentiranno offesi e reagiranno ».
Tout est dans le « tutti » si j’ose dire. A part un commandeur des croyants, qui n’est pas un poste aujourd’hui attribué dans la chrétienté, qui peut parler au nom de « tous les croyants » de religion chrétienne, et dire que tous sont offensés ? Certainement pas un ministre de la culture de quelque pays que ce soit. Gennaro Sangiuliano renchérit:
“L’Ultima cena di Leonardo è una delle più alte espressioni dell’arte e rappresentazione di un atto evangelico, caro a milioni di cristiani. Dileggiarla non è libertà ma semplice volgarità. François René de Chateaubriand si starà rivoltando nella tomba”.
Le député européen Roberto Vannacci parle de “sberleffo della fede e della cristianità”. Voilà donc Chateaubriand, écrivain royaliste, convoqué par le ministre de la Culture italien mais celui-ci étant mort en 1848, il a sans doute eu d’autres occasions de se retourner dans sa tombe. Quant au député européen il semble outré qu’on puisse user de moquerie à l’égard de la foi et du christianisme.
A bien étudier le problème, il y a un double jeu dans le travail de Thomas Joly : un jeu sur une image connue d’abord, un jeu sur une religion ensuite, jeu qui a un nom, le blasphème.
L’occident étant, en partie grâce au christianisme une civilisation d’image, le détournement des images est une pratique commune qui s’est foncièrement accélérée avec les moyens techniques, la photographie d’abord, le numérique et Internet aujourd’hui. Plus une image est connue, plus il est intéressant pour les artistes, les humoristes ou les publicitaires d’en faire des œuvres dérivées.
C’est ainsi que Napoléon s’est vu franchir le grand Saint Bernard en scooter, que Ben Laden a été portraituré dans la pose avantageuse de Miss O’ Murphy, que les Ménines ont été accommodées à toutes les sauces et la Vénus de Milo soumise à toutes les turpitudes. Quant à la Joconde, Marcel Duchamp, qui ne détestait pas s’habiller en femme, lui a mis des moustaches en l’affublant des lettres LHOOQ : soit un irrévérencieux « elle a chaud au cul » !
La Cène de Léonard est loin d’être la seule a avoir été ainsi utilisée et les détournements sont innombrables. Le film Mash, par exemple en présente un savoureux, la Cène à été mise à la mode Star Wars, à la mode Galactica, à la mode Soprano, à la mode lesbienne, elle a été il y a 15 ans utilisée par Marithé + François Girbaud comme support publicitaire; une association catholique traditionnaliste s’est d’ailleurs, estimée blessée par cette image et a fait un procès qu’elle a finalement perdu en cassation au nom de la Liberté d’expression.
D’autres « cènes » peuvent faire les frais de détournement. Ici celle de Philippe de Champaigne est replacée dans l’univers du Rock & Roll :
Bref le détournement de la fresque de Vinci n’a rien d’exceptionnel et même si depuis quelques années il est particulièrement fréquent dans la culture Queer ou LGBT, il n’y a pas de quoi déclencher de réactions ministérielles; les chrétiens de toutes obédiences et de tous horizons sont sans doute vaccinés par les multiples avanies qu’a subit cette image. Et cela ne date pas d’hier puis que le Festin des dieux, de Jan van Bijlert, auréolé depuis quelques jours d’une célébrité mondiale, car Joly, n’assumant plus ses choix l’invoque comme sujet d’inspiration, n’est rien d’autre qu’une parodie de la Cène.
Le second problème est le blasphème lui-même. On touche ici une tradition profondément ancrée en France. La France ne connait pas le droit des dieux, ou de leurs représentants autoproclamés, à venir témoigner en justice. En conséquence de quoi, on peut les maltraiter comme on veut, ce qui n’est pas le cas des fidèles, des édifices religieux et ainsi de suite. Les dieux sont des hypothèses pour paraphraser Laplace[1]. On ne peut pas se quereller au sujet de simples hypothèses. Ce droit au blasphème, aux propos injurieux envers tous les dieux, tous les prophètes, tous les livres dits saints, toutes les images dites sacrées a coûté très cher, et encore récemment, à la France. Le droit de publier des caricatures sur le prophète reconnu d’une religion largement répandue, s’est payé de 250 vies humaines en 2015-2016. La France, pour autant, n’a pas modifié son droit, ni sa constitution.
Le droit de critiquer, de se moquer, de prendre ouvertement ses distances ou de blasphémer une religion, remonte bien avant la révolution. Quand le Régent, lisait ostensiblement Rabelais pendant la messe de Noël, que faisait il d’autre que mettre à distance ce qui était alors la religion d’Etat. Et quand le chevalier de la Barre, refusa de se découvrir devant une procession, que fit il d’autre que contester le caractère sacré des reliques qui défilaient devant lui. Il le paya de sa vie, comme l’apprenaient encore il y a quelques années tous les écoliers de la République française.
De Rabelais à Voltaire, de Baudelaire à Rimbaud, de Verlaine à Céline, toute la civilisation française est parcourue de mouvements d’enthousiasme et de rejet envers le christianisme et c’est cette mise à distance qui l’a conduite vers l’universalisme et qui l’a rapprochée de la Grèce qui, à l’inverse de Rome, n’hésitait pas à se moquer de ses dieux tout en y croyant, comme dans les grenouilles d’Aristophane où le pleutre Dionysos se réfugie dans les bras du grand prêtre à l’approche de Cerbère, ou même chez Homère où l’infortune conjugale d’Héphaïstos déclenche un éclat de rire général.
Reprocher à un artiste français de blasphémer, c’est aussi censé que de lui reprocher de respirer. On peut comprendre qu’un Erdogan ou un Trump n’entrent pas dans ce type de nuance, cela est plus surprenant d’un ministre de la Culture.
Mais on peut aussi mélanger détournement des images et blasphème, c’est précisément le cas de la gravure qui suit. Elle date de 1871, sans doute peu avant la IIIe République. On note que les versets de l’Evangile de Saint Jean sont entrecoupés de réponses prêtées à la garde nationale, ce qui évidemment relève du blasphème.
Comme on le voit, il y a bien longtemps que les Français s’amusent avec la Cène de Léonard et avec le Christianisme en général, il n’y a pas de quoi fouetter un chat.
Philippe PREVAL Paris 31 Juillet
Note
[1] Napoléon lui ayant fait remarquer qu’il n’était nulle part fait mention de Dieu, dans sa Mécanique céleste, Laplace lui répondit : « Je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ».